L'art
de ne rien dire / La critique pré-construite
Puisque bon, le premier venu est bien souvent le plus malin pingouin.
Parce qu'il ne suffit que d'un crayon pour être romancier et d'une
calculatrice pour être comptable et d'une orientation sexuelle déviante
pour être pharmacien. Parce que l'ère des spécialistes
est bel et bien révolue. Parce qu'une opinion vaut bien une idée
réfléchie, appuyée, argumentée et valable.
Aussi parce
que nous aimons notre lecteur, mais surtout notre lecteur comme faire-valoir
et qu'il ne l'est qu'à moitié (peu importe son nombre de
clics) si ce n'est pas un big shot ayant lui-même plus de
crédibilité que la rédaction du Voir au grand
complet.
Pour tout
ça et encore un tas d'autres raisons, nous vous présentons
le Fake ultime : la critique prête
à signer.
On donne
au lecteur ce qu'il veut, dans bien des cas pas grand chose (et dans une
forme qu'il peut comprendre - yes/no ; bon/pas bon). On se permet de rechigner
devant un texte de 2 300 mots (mais on dira aimer les livres), on méprise
les bibliographies sur un ton comico-mongol (mais on dira aimer les livres),
etc. On utilise le mot culture pour compenser son absence, on lance
en séries des trucs culturels (ah ces fameuses sorties à
ne pas manquer) - et voilà la culture du blogger [1]:
accumulation et jamais compréhension. Ah, mais ici non plus on
n'a rien contre la facilité
Pour preuve,
ce F ultime. Comme partout ailleurs, le derniers
des lobotomisés peut publier chez nous. Vous n'avez qu'à
cliquer et remplir les cases une à une (si c'est une tâche
au-delà de vos capacités, un préposé vous
viendra en aide) - et vous voilà rédacteur pour Artifice
; croyez-moi, vous pouvez être fier - ensuite vous imprimez le résultat,
le joignez à votre CV et allez postuler dans n'importe quel zine
(certains - voir note - vous trouveront sur-éduqué, mais
c'est bon pour l'ego).
Bonne rédaction!
Cliquez
ici pour commencer
- remplissez les champs sans majuscule et ponctuation finale
à moins que l'on vous demande des phrases.
- cette critique pré-construite possède un corps fixe (texte
source) qui fera la joie de tous les critiques de cinéma des
grands quotidiens, elle n'est pas malléable à volonté
et est à l'origine une (mauvaise) critique positive - l'exercice
A/B (positive/négative) aurait été amusant, mais
j'en avais marre des codes et je crois que la démonstration est
suffisante (l'utilisateur peut transformer cette mauvaise critique
positive en une mauvaise critique négative avec un minimum
d'habileté).
- le lecteur est seul à avoir accès à sa critique,
mais nous serions ici très heureux si vous nous faisiez parvenir
vos créations (vous trouverez un lien à cet effet sur la
page).
Sébastian
Sipat
Montréal, janvier 2002
1 - D'ailleurs, le blogger est une invention pratique
pour sauver les apparences : on donne l'impression de discussion et d'échange
d'idées (en évitant l'intervention extérieure), on
peut passer une brochette d'éléments sans les développer
(parc't'àça ça sert un blog). Remarquez, développer
davantage n'est pas nécessairement une bonne idée si ce
que l'on cherche c'est passer pour crédible, par exemple le site
nous reprochant nos 2 300 mots propose (entre autres) une savoureuse critique
de 10 choses que je déteste de toi* où l'on peut
lire : «Le père est d'ailleurs comique avec ses théories
concernant les relations filles-garçons... Un peu beaucoup rétrograde
le bonhomme! [
]laissez-moi vous dire que si vous avez aimé
"Ce soir tout est permis" avec la séduisante Jennifer
Love-Hewitt, ce film-là est pour vous» (pour compenser, vous
comprendrez qu'il faut écrire culture souvent
).
* Remarquez
que la version originale de ce texte contenait un hyperlien vers le texte
en question (sur Montrealadonf.com), mais que la critique a été
retirée (pour éviter la honte)...
p.s. : je
me plains encore de la pauvreté et de la pauvre intégrité
de l'intelligentsia québécoise juste au moment où
Cadrage fait un virage artificien
; peut-être finalement quelque chose qui bouge dans le bon sens
(on leur souhaite bonne chance).
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