Symphonie # 2 pour imprimantes matricielles
(Une écoute simultanée ou antérieure à la lecture facilite la compréhension,
profitons-en, les nouveaux médias nous le permettent.)

Le duo [The User] revient au FCMM après 3 ans avec cette fois-ci deux autres pièces musicales interprétées par des imprimantes: Song of the Cubicle Slave et The Office Suite, titres évocateurs de la réflexion posée sur l'utilisation d'imprimantes, objets du quotidien domestique et bureaucratique. Le duo n'utilise pas la technologie numérique ou l'imprimante laser pour créer, mais plutôt des appareils désuets qui projettent un regard sur l'ère présente.

L'imprimante matricielle est bruyante et dérangeante et faisait partie de l'univers quotidien des bureaux il y a dix ou douze ans. La récupération de cet objet ainsi que de l'ordinateur qui peut encore le faire fonctionner permet un détournement de sa fonction première pour créer un instrument de musique. Cette technologie archaïque produit pourtant une musicalité qui n'a rien à voir avec la cacophonie qu'elle produisait dans son espace originel. Un seul bémol pour ma part, l'intensité du son de la salle du MACM permet une moins bonne appréciation de cet environnement sonore. Le bruit généré par ces appareils a différentes tonalités qui peuvent être organisées de façon harmonieuse. Après l'exploration des possibilités de l'imprimante matricielle, on se rend compte que les imprimantes peuvent donner plusieurs sonorités selon le type d'appareil, ce qui permet de concevoir un «orchestre» avec différents instruments, ceux qui accompagnent et ceux qui dirigent la symphonie. Pour organiser cette mélodie, il faut programmer les ordinateurs, [The User] utilise pour cet «orchestre» 12 imprimantes connectées en réseau sur un ordinateur principal. Ce «chef d'orchestre» dirige l'exécution des différentes partitions programmées en langage ASCII dans chaque ordinateur. À défaut d'imprimer les partitions, il est possible de les voir directement sur écran. [The User] travaille donc aussi la notion du visuel, tant qu'à avoir les moniteurs pourquoi ne pas les laisser ouverts ! Le spectateur peut donc associer les partitions informatiques aux sons entendus. Mais, ce n'est pas tout, de minis caméras sont perchées sur le dessus de chacune des imprimantes et captent en direct des images des têtes qui se déplacent de gauche à droite. Les images sont directement projetées sur un écran triple. Le spectateur peut donc participer audio-visuellement à ce concert technologique.

Les appareils sont autonomes une fois préprogrammés et peuvent donc exécuter leur musique sans la présence de leurs compositeurs. C'est donc pour cette raison que le duo renvoyait les applaudissements du public vers les ordinateurs, source d'inspiration et exécuteur de sa composition. Et s'il vous reste à la maison une de ces bonnes imprimantes à trous, vous pouvez en faire don [1] au groupe, surtout si elles correspondent aux modèles suivants : Epson TX-80B Essna, Citizen Swift, ou bien Apple StyleWriter 1200.

1 - Pour contacter [the User]


Gameboy Pocketnoise

Détrompez-vous, aucune parenté sonore, aucun amusement, aucune proximité entre la version électronique et expérimentale des sons de cartouches Gameboy de Nintendo et la musique divertissante que me procuraient Marioland, Tetris et Zelda. Inquiétant et troublant, l'univers créé par Chistoph Kummerer pour la performance Gameboy Pocketnoise et dans ce trouble, je me laisse aller à une interprétation de l'intention de l'utilisation de cet appareil primitif qu'est le Gameboy.

Kummerer transforme les données des cartouches de jeux vidéo en sons lo-fi 4 bits par l'entremise d'une console d'où il mixe les sons en direct. Les spectateurs/auditeurs sont plongés dans un espace sonore où les tonalités sont répétées et entremêlées. La répétition qui se transforme en vrombissement devient hypnotique, le mal de tête s'intensifie par la puissance du son dans l'enceinte du MACM. Les pocketnoises deviennent beaucoup plus aliénants que de vulgaires bruits de console vidéo individuelle. Les bruits sont plutôt, selon leur définition, un mélange confus de sons créés par vibrations. Cette aliénation peut être celle des individus devant leur console de jeux vidéo dont ils sont dépendants parce qu'ils veulent la défier et surpasser leurs performances. C'est aussi dans cette perspective que Kummerer réalise sa performance, défiant tout bogue informatique, seul devant sa console d'interprétation de données. Mais le défi est réellement lancé à l'auditoire qui doit se soumettre à cette performance.

On retrouve dans Gameboy Pocketnoise l'idée de l'éternel recommencement du jeu qui devient hypnotique à force de revoir et de réentendre la même musique des différents espaces de l'interface. Kummerer devant sa console me fait penser à ce joueur dans son univers virtuel qui essaie de surpasser la machine et de relever le défi du jeu. Le Gameboy est une console individuelle, mais Kummerer nous offre la possibilité de participer à son défi et ne nous laissera pas en mode pause. Pendant plus de trente minutes, les sons résonnent dans la salle, certains se bouchent les oreilles, c'est presque intolérable par l'intensité et la précarité du son. On peut associer cette stérilité sonore aux débuts du Gameboy, à l'origine en noir et blanc et sans la panoplie de couleurs de boîtier.

Après avoir réécouté des échantillons de Pocketnoise sur le site de Lo-ser (où est mentionné que l'idée de Gameboy Pocketnoise est à l'origine conçue par le duo de Christoph Kummerer et Martin Stepanek) je n'ai pu retrouver le même genre de sons que Kummerer a travaillé lors de sa performance à Montréal. Et pourtant, les sons trouvés en ligne sont beaucoup plus évocateurs du jeu vidéo. Dans la pièce 01 - Rough treat, on reconnaît presque des bruits de missiles ou encore le fond sonore d'un jeu d'aventure quelque peu modifié par des grésillements. Ce n'est pas tout à fait ce à quoi on a eu droit, mais l'idée d'association de Pocketnoise (Montréal) et de jeux vidéo reste la même quoiqu'un peu plus hypnotique que musicale. Je me contenterais d'associer mes idées à la performance donnée au MACM, puisque la notion d'aliénation est beaucoup moins présente dans les échantillons des autres performances.


The Driver must be a madman

Une apothéose visuelle et sonore lors de la présentation du montage de Eboman pour la performance The Driver must be a madman. Du scratch vidéo décapant qui en met plein la vue et l'ouïe avec des extraits de plus de 200 films, présentés sur trois écrans, sur le thème du «driver madman» avec des sujets comme le conducteur, le cavalier, le pilote et le fugitif.

Ce triptyque visuel produit une version intéressante de montage par la composition simultanée de 3 différents espaces. Parfois indépendants les uns des autres, les écrans varient la position du spectateur en la rendant interactive en ce sens qu'il a le choix du regard selon son intérêt. Tout de même Eboman ne laisse pas ses trois écrans sans communication. Il crée des synthèses d'un écran à l'autre, par exemple, le premier écran présente un cavalier, le second un automobiliste et le troisième les même images que le premier. On associe donc l'image centrale aux deux écrans opposés pour créer l'idée du conducteur. Aussi, l'action peut commencer à gauche pour se terminer dans le dernier écran de droite. Le regard du spectateur est cette fois-ci dirigé directement vers l'action. Dans cette même idée de montage, il recrée un environnement avec des actions qui se déroulent dans deux espaces et films distincts. Les personnages du film Les Visiteurs décapitent complètement une bagnole dans les deux écrans situés aux extrémités et dans l'écran du centre un homme essaie de démarrer sa voiture pour fuir. Cette conjonction d'images distinctes en un même lieu rappelle l'effet de géographie créative créé par le montage de l'école soviétique.

Cet assemblage d'images apporte une autre notion intéressante qui n'appartient pas au cinéma. L'environnement de la présentation juxtapose des images non seulement dans leur enchaînement, mais aussi latéralement. La construction des idées ne se fait pas seulement par le défilement de 30 images par seconde sur une seule bande, mais plutôt dans un rapport de 30 images/seconde³. Les écrans entretiennent des relations par leur juxtaposition ce qui accroît de façon exponentielle les rapports entre chacune des images et des actions. Cette surcharge d'information, autant visuelle que sonore, apporte un dynamisme par son interactivité et celle du spectateur qui est sans cesse suscitée par le rythme de l'audio-visuel. Si ce montage avait été présenté à la SAT, les spectateurs auraient certainement dansé au rythme des raccords.

Le contenu auditif est aussi travaillé que les images. Par la répétition sonore d'une même phrase («c'mon» par exemple), Eboman compose une trame sonore très musicale. Cet univers entraînant engendré par la surdose d'images et de sons reproduit un effet de transmission haute vitesse, le téléchargement est à peine commencé qu'on vous annonce que c'est terminé.

Une petite note, si vous allez faire un tour sur le site internet d'Eboman, et je vous le conseille fortement pour découvrir un artiste de l'audio-visuel, vous pourrez voir et entendre l'oeuvre SkrtZz int_R_face.SmadS.

Eboman travaille la notion d'interactivité entre l'homme (créateur) et la machine (exécuteur). Il est connecté directement avec une interface qui le relie par son bras et sa jambe à un ordinateur qui effectue le changement d'images selon ses mouvements. De cette façon, il intervient directement sur le montage, il accélère ou décélère le débit de l'image selon la vitesse de ses déplacements. Peut-être travaillé ainsi à l'origine, The Driver must be a madman nous a malheureusement été présenté comme une bande vidéo et non comme une performance.