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"Le
monde entier est une scène, Le jeu est une attitude intrinsèque à l'homme, rien de plus naturel que la dissimulation et le mensonge. Le cinéma tout comme le théâtre, par la mise en scène et l'artifice, reprennent cette notion de jeu de rôles par différents moyens de distanciation qui rappellent au spectateur que le cinéma est tout aussi faux que la réalité peut l'être. C'est sous ce regard du simulacre que Jacques Rivette réalise Va savoir, un film qui suscite le théâtre (ce qui vient redoubler le propos de la tromperie) par diverses interventions que nous regrouperons en 2 types : le jeu (mise en scène) et le lieu (mise en espace). Le cadre cinématographique devient la scène où les acteurs se donnent en spectacle au théâtre comme dans la vie. Le récit de Va savoir se scinde en deux théâtres, celui sur les planches, la nuit et celui de la vie, le jour. Camille et Ugo (couple ambigu dont la relation laisse place au libertinage, donc à la tromperie) font partie de la troupe d'acteurs qui jouent la pièce de théâtre Come tu me vuoi de Pirandello. D'abord ce titre, qui signifie « comme tu me veux » est tout à fait explicite de l'attitude trompeuse que l'un adopte pour plaire à l'autre. Camille y joue le rôle principal et se métamorphose en différents personnages tout au long de la représentation. Mais en fait, la pièce de théâtre est secondaire à l'histoire (présentée en italien donc incompréhensible pour les spectateurs du film comme de la pièce présentée à Paris), mais permet de renforcer la mise en perspective. La pièce agit donc comme une anamorphose qui révèle cette thématique du mensonge. Or, Camille semble confondre réalité et spectacle puisqu'elle simule et se dissimule à volonté au théâtre comme dans la vie. Les personnages sont des acteurs et peuvent donc tromper n'importe qui. De retour à Paris, qu'elle a quitté depuis 3 ans, Camille retourne voir son ancien conjoint Pierre, qu'elle a aussi quitté au même moment. Camille entre en relation de séduction avec Pierre pour savoir si elle lui plaît toujours. Ces jeux de charme seront aussi utilisés lors de la conquête d'Arthur. Celui-ci est un joueur de nature, avec l'argent comme avec les apparences. Il courtise Sonia, la conjointe de Pierre, pour lui subtiliser sa bague d'une grande valeur. Mais il se fera lui aussi tromper lorsque Camille, déguisée en femme fatale pour l'occasion, viendra la lui voler pour la rendre à Sonia. La recherche d'attention de la part de Camille mène pourtant à une fin, cette fois-ci, récupérer la bague qu'Arthur a dérobée à Sonia. Les relations sont basées sur l'hypocrisie en vue d'obtenir quelque chose. Cet enchevêtrement des liens entre les personnages (Camille-Pierre, Pierre-Sonia, Sonia-Arthur, Arthur-Camille, ) se poursuit. Ugo, le conjoint de Camille, est à la recherche d'un manuscrit de Goldoni, Le Destin vénitien. Dans sa recherche, il fera la rencontre de Dominique, la sur d'Arthur, de qui il tombera amoureux ( Camille-Ugo, Ugo-Dominique, Dominique-Arthur, ). Ces rencontres hasardeuses entre les différents personnages en seront à leur apogée lors de la scène finale au théâtre puisqu'ils se retrouveront tous sur les planches. Les relations sont basées sur des quiproquos où le jeu des apparences et la réalité s'entremêlent au rythme de l'histoire qui se dirige dans tous les sens. Va savoir, théâtre des apparences ou l'être et le paraître se confondent, est pourtant mis en scène avec beaucoup de naturalisme. Le jeu des comédiens est juste ainsi que les dialogues. Jacques Rivette donne à ses comédiens une certaine liberté dans le jeu. Rappelons que Rivette est cinéaste depuis la Nouvelle vague et conserve ainsi cette latitude laissée à l'acteur à cette période de l'histoire du cinéma pour lui permettre de jouer avec un plus grand réalisme puisque libéré du carcan textuel. L'improvisation est de mise et permet ainsi une plus grande vérité dans l'expression du personnage. Les corps ont aussi leur importance pas tant dans la gestuelle que dans leur présence au quotidien. Dans cet esprit de réalisme, le corporel est valorisé dans la reproduction du geste banal. On peut remarquer une référence au burlesque dans les situations loufoques, mise en scène axée sur la gestuelle et le conflit des corps avec les objets. Lorsque Camille termine la pratique générale, elle se cogne contre les murs, déboussolée, encore brouillée entre les décors et les murs réels du théâtre. Aussi, elle doit escalader différents objets pour pouvoir s'échapper du logement de Pierre et finira sur les toits. Ce gag qui se construit par l'empilage des boîtes, coffre et table est un autre exemple de ce film-théâtre qui se transforme en vaudeville. Le mensonge se situe donc dans les propos et attitudes artificiels plutôt que dans l'extravagance des gestes ce qui confirme qu'au cinéma, l'acteur n'a pas besoin de surjouer de façon expressive pour se faire comprendre du spectateur. La parole est naturelle, mais pourtant elle véhicule le mensonge, le faire-valoir autant que la tromperie conjugale. Pierre qui parle sans cesse de ses théories philosophiques devant Ugo, Arthur qui séduit Sonia par ses belles paroles. Le dialogue est donc un déguisement et une ruse pour arriver à ses fins. Un dédoublement entre le théâtre et la vie qui s'y colle comme une attitude naturelle. Où est le vrai, où est le faux si la vie elle-même est devenue théâtre ?
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