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L'année dernière à Kandahar Pas étonnant
de voir Makhmalbaf se consacrer à la question de l'Afghanistan
avec Kandahar. Bien sûr, le choix du sujet semble opportuniste
et complaisant, cependant il ne faudrait pas télescoper ce choix
avec la distribution internationale accrue du film depuis les récents
événements. On pourrait se demander si le réalisateur
ne consacre pas autant d'ardeur à dénoncer les fanatiques
qu'il n'en déployait à les appuyer au tournant de la révolution
islamique en Iran. Et on ne peut faire abstention des difficultés
qu'il aura rencontrées, avec Kandahar, à ne pas démoniser
les responsables de l'obscurantisme le plus criant de notre époque
(non mais, l'on exagère ou l'on se tait, de nos jours). Déjà,
l'autocritique de ses gestes radicaux de Un moment d'innocence
montre que le regard sur les choses n'est jamais simple avec Makhmalbaf.
Un jeune fanatique peut bien remplacer son arme par un morceau de pain,
la reconstitution de l'événement s'engouffre, est mise en
abyme au point qu'un tel geste ne puisse se concevoir que dans une fiction.
Mais avec de gros méchants talibans, comment s'en sortir ? Les
évacuer du récit ? Inconcevable et de toute façon
inutile tant leur dogmatisme hante cette fiction, qui, encore une fois,
n'en est pas totalement une. Les fameuses têtes noires, ces femmes munies du tchador national, la burka, font aussi l'objet d'une jolie histoire offerte par certains exégèses du Coran. Il ne s'agit nullement de considérer la femme comme un bien appartenant à l'homme. Ce vêtement assure au contraire l'intégrité de la femme qui ne peut désormais être vue comme un simple objet sexuel. Elle tient ainsi le rôle noble de gardienne de l'humanité ; le paradis est sous ses pieds. Aussi bien dire que l'homme est le sexe faible et que la burka l'empêche de succomber. Si McLuhan avait raison de voir dans les minijupes et les décolletés un média chaud, moins stimulant parce qu'impliquant de moindre façon l'imagination de l'observateur, l'homme afghan, lui, se demande encore le pourquoi de son érection permanente. De jolies histoires donc qui maintiennent ces pratiques hors de la simple barbarie où le regard occidental voudrait bien les enfermer. Mais ne serait-ce que des histoires ? Nafas ne peut traverser la frontière irano-afghane qu'en jouant la quatrième épouse. Et l'époux craint pour sa réputation lorsqu'elle soulève sa burka pour lui parler. Si d'autres hommes la voyaient, le blâme pèserait sur lui. Sans lui, elle n'est rien. Sans elle, moins d'ornementation, tout au plus. « Le mur est haut, le ciel l'est encore plus » ; que dire d'autre à un groupe de fillettes qui retournent en Afghanistan ? Elles fixent la caméra qui nous les montre une à une. En sourdine, on entend presque le Makhmalbaf de Salaam Cinema : « gueriekon! » (pleurez!). Et cette fois, l'injonction s'adresse au spectateur. Sa visite clandestine au pays fut-elle si pénible pour le contraindre à verser ainsi dans un plan digne d'une infopub vision mondiale ? Certains
ont accusé Makhmalbaf de se concentrer sur la condition féminine
pour mieux souscrire aux points d'intérêts occidentaux face
à l'Afghanistan. Mais le film s'attarde en fait sur l'arsenal entier
des clichés véhiculés par nos médias à
son sujet. Un classique du journalisme d'enquête sur le monde musulman,
l'école coranique où une masse de gamins indistincts psalmodient
dans un vacarme tout aussi indistinct, est à l'ordre du jour, servi
pour mieux mettre en évidence la seule façon d'éviter
(relativement) une vie miséreuse : la proximité avec le
mollah local. Sur les routes désertiques, faire la part entre les
nombreux brigands et les patrouilles du régime s'avère pour
le moins problématique. Lorsqu'on s'informe au sujet de son jeune
guide, Nafas précise l'avoir trouvé au cimetière.
Inutile de préciser, si c'est pour inclure le pays en entier. Nafas
est journaliste. Pas étonnant de retrouver toutes ces images qu'on
connaît trop bien. Mais plus qu'une simple correspondante étrangère,
c'est aussi une native afghane. Elle est à la fois ce regard occidental,
le nôtre, distant, et ce regard impliqué par la souffrance
de sa soeur. Pourtant, les images sont les mêmes. Comme s'il n'y
avait aucune disparité entre les deux points de vue. Tout le monde
est d'accord. Même les hommes afghans, précise l'afro-américain
en retirant sa fausse barbe, sont en prison. Le film édifie un
consensus. La situation y est intenable, sans espoir. Si Nafas ne parviendra pas à porter son message d'espoir à sa soeur, si ce message, glané parmi ses rencontres et enregistré sur son dictaphone n'est pas très convaincant, le film s'enlise plus profondément encore, comme si l'espoir y était quelque chose de périmé. Et l'aide humanitaire ? Un an à répéter chaque jour : « donnez-moi une main, donnez-moi une jambe » aux délégués de la croix rouge. Et c'est avec un sens de l'humour noir prononcé qu'on donne un drapeau de l'ONU aux voyageurs, pour la chance. Le dernier plan fige l'éclipse au moment où le soleil est complètement recouvert. Pas très subtil. Inconcevable de clore un film pareil sur un faux happy-end à la manière de la reconstitution dédoublée dans Un moment d'innocence. Les gens ont fui les abus au nom de l'islam dans la fiction, s'y réfugient, comme nous occidentaux, nourris de fictions sur les points chauds du moment pour mieux s'en écarter. Les écarts de mise en scène détonnent de l'ensemble documentaire et dérangent dans la mesure où apprécier leur beauté esthétique rend tout spectateur coupable de nonchalance envers l'horreur. Malgré l'effet, malgré le manque d'espoir qui voudrait susciter une réaction vive, on peut se demander si le spectateur, une fois le générique défilé, n'en sort pas indemne. |