La censure!

Depuis l'avènement du cinéma, les réalisateurs et leurs oeuvres cinématographiques ont toujours été sujets à la censure (tout un sujet amené presque). En fait, dès 1895, les autorités sévissent contre La danse serpentine. Ce court métrage avait été retiré des écrans pour son contenu trop "mœurs légères" (c'est ainsi que l'on qualifie les films qui passent à Bleu Nuit dans le TV Hebdo [1]).

À partir de ce moment (ce n'est pas un événement perturbateur, mais il me fallait tout de même un point de départ), bon nombre de films, de documentaires et de projets durent passer au hachoir de la censure. Bien que décelée dans à peu près tous les pays, la plus connue et la plus efficace est certainement celle qu'Hollywood exerce sur tous les films qu'il produit.

Tout d'abord, le film à l'époque était considéré comme un placement par les investisseurs de Wall Street (on parle de la période des années 1920). Pour eux, le cinéma était l'équivalent d'un REER pour un habitant du "limitrophe plateau" aujourd'hui. Soudainement, (la trame narrative de mon article ressemble vraiment à un film de Lucas) le Star System commença à faire des siennes. Eh oui, les années 1920 avaient également leurs gueules de baiseurs (le manque de substance de celles-ci étant moins flagrant à l'époque - pour la simple et bonne raison qu'il est ardu de faire entrer autant de stupidités sur quelques cartons que dans une heure trente de dialogues [2]).

Avec les nouvelles vedettes, les gens s'intéressaient de plus en plus à ce qui se passait à l'extérieur des écrans, et ces stars commençaient à avoir un impact sur la vie des gens [3]. Quand Fatty Arbuckle s'est mis à expérimenter sur les divers usages possibles d'une bouteille de Coke (petit format en vitre) et qu'on a retrouvé une semi-prostituée semi-morte dans sa chambre le lendemain matin, Hollywood a décidé d'intervenir et de s'auto-censurer avant que les divers paliers de gouvernement américain se mettent à exiger leurs propres barèmes. Chose qui aurait été assez marrante dans certains États. Imaginez les revendications d'un État comme l'Oklahoma (à lire avec une voix d'abruti pour mieux embarquer dans la situation): "Nus autres, on veut juste qu'y aille des Pick Ups dans nos films, parce les chars, c'est poche... sauf la Firebird".

Comme s'il n'y avait pas assez de Fatty et de ses expérimentations, le gouvernement américain considérait créer un système de censure étatique… Chose que les producteurs d'Hollywood ne voulaient pas parce qu'ils auraient perdu le contrôle sur leurs propres créations et une bonne part de leur liberté d'action.

Leur réaction - ils sont allés chercher Will H. Hays, l'ancien ministre des postes.

Pourquoi lui? parce qu'il connaît à peu près tout le monde au gouvernement et peut faire en masse de push pour tout ce qu'il veut. De plus, on lui reconnaît des talents de manipulation de l'opinion publique. Chose qui ne lui servira bien sûr absolument à rien dans l'industrie cinématographique hollywoodienne, car à l'époque comme aujourd'hui, on ne nous envoie toujours que la vérité pure et dure.

Hays commence par une campagne publicitaire pour rehausser l'image dégagée par Hollywood. Puis, sans envoyer Arbuckle en prison (il avait fait rire du monde à l'écran avant le scandale... alors ça l'excusait un peu), il s'arrange pour que Fatty ne travaille plus devant la caméra, mais plutôt derrière.

Ensuite, il prend des arrangements avec les grandes banques américaines (clairs de tout conflit d'intérêt, distribution de pots-de-vin, etc.) pour qu'Hollywood ne manque plus d'argent. Il règle aussi différents conflits à l'étranger. Effectivement, de plus en plus de pays boycottaient les arrivages cinématographiques américains en raison de leur contenu raciste. Les Mexicains étaient peints comme des paresseux, les asiatiques comme des voleurs de jobs et les noirs comme des esclaves potentiels. Vraiment très différent de ce à quoi on a droit maintenant (les hispanos sont des criminels crasseux, les asiatiques foutent des coups de pieds et font des pirouettes et les noirs crèvent - le sort de quelques acteurs plus choyés contredisant la tendance afin d'excuser tout le reste).

Grâce à ses contacts au gouvernement américain, Hays empêchera très longtemps les divers paliers gouvernementaux américains d'appliquer les lois anti-trust sur Hollywood alors que ces derniers s'occupaient eux-mêmes de la production, de la distribution et de l'exploitation de leurs films. Sa crédibilité à l'étranger lui valut la faveur du gouvernement, qui n'avait pas de représentant à ce chapitre. Bien qu'il soit l'agent de grosses compagnies de production hollywoodienne bourrées d'intérêts privés, Hays avait la crédibilité d'un diplomate et on le laissait se balader où bon lui semblait.

On connaîtra surtout Hays pour la création du Code Hays. Il s'agit d'un ensemble de règles à respecter, si l'on veut que son film soit mandaté et autorisé à passer dans les salles de l'association. Ce code qu'on pouvait interpréter de façon très subjective comportait des directives aussi claires que: ne jamais faire en sorte que deux individus s'embrassent sauf si cette relation apporte à l'histoire.

Surtout pour faire taire les divers lobbys (certains religieux auraient cru que la vue de deux personnes qui s'embrassent sur un écran de cinéma pouvait transformer instantanément le spectateur en dangereuse sex-machine et que la population au grand complet risquait son âme), le MPPDA [4], association à la tête de laquelle Hays exerçait ses fonctions, mettra en application le Code portant son nom - ce sera surtout l'occasion de tout contrôler le marché hollywoodien, qu'il soit à l'intérieur du pays, ou à l'étranger.

Bref, un système où l'on censure tout de l'intérieur, pour ne pas avoir à faire des modifications dans le futur (question de ne pas devoir faire de modifications quelconques) afin de diminuer les dépenses et de maximiser les entrées. Quelqu'un de surpris?


1- Et ils sont invariablement cotés 7 pour minable et puis c'est même pas cochon pour vrai cette émission-là.

2- 50 000$ pour ton éducation, une carte de bibliothèque pis moé j'ai adoré Rocky [note de Sipat]

3- Le journal à potins ne date pas d'hier : une photo, un titre, un article qui ne développe rien, et plein d'histoires dont personne n'a rien à foutre.

4- Motion Pictures Producers and Distributors of America.