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Tout d'abord, il est important de mentionner que le sujet étudié est très problématique. En effet, énormément de documents se contredisent, et bien d'autres écrits ne sont que pures spéculations, n'ayant aucune base documentaire. Pour les besoins de la cause, nous débuterons avec une très brève genèse de l'invention qu'est le cinématographe.
LES PREMIERS BALBUTIEMENTS DU CINÉMA AUX ÉTATS-UNIS Aux États-Unis, Edison tente d'inventer un engin pouvant projeter des images. Il atteindra son but en 1891 avec le kinétoscope:
Quatre années plus tard, les Frères Lumières s'adonnent à la première démonstration publique de leur cinématographe, engin qui donne des résultats plus impressionnants que le kinétoscope d'Edison. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce dernier s'unit à Thomas Armat et créent le Edison Vitagraph. Voyant le potentiel commercial de l'engin, Edison voulait trouver un système qui lui permettrait d'exploiter et d'améliorer son invention de 1891. La première représentation publique de cet engin aura lieu le 23 avril 1896 à New York au Koster and Bial's Music Hall [3]. Au tout début, beaucoup de petites compagnies indépendantes s'adonnaient à l'exploitation de leurs machines:
Cependant, dans le but d'écraser la concurrence, Edison brevette son invention, question d'être le seul à pouvoir toucher les profits sur l'exploitation de sa machine à projeter des images. Ainsi, lorsqu'Edison ne faisait pas d'argent sur la vente d'une de ses machines pour un compétiteur, il en faisait sur les redevances reliées à son brevet sur l'invention.
1897 à 1908 Cette période est très difficile à relater. En effet, il y avait tellement de petites compagnies, qu'il est fort difficile de peindre une fresque reflétant de façon caractéristique le vécu et toutes les péripéties de ces dernières. Cependant, il nous est possible d'en faire une histoire généralisée, touchant les plus grosses compagnies, qui ont fait la une à l'époque et dont nous avons encore les traces aujourd'hui. Pour ce qui est des petites compagnies, elles sont toutes entrées dans une très grande rivalité. Toutes indépendantes, elles tentent de se tailler leur part du marché, tout en devant s'adapter au fait qu'elles doivent faire affaire à la même compagnie de production et de distribution jusqu'en 1904. En 1907, Edison a mangé les plus petites compagnies, mais pas les grosses. Il devra les prendre en considération. En effet, ces dernières n'ont pas copié son Edison Vitagraph, mais ont des engins compatibles. De plus, certaines de ces compagnies pouvaient se permettre des poursuites judiciaires, car même si elles devaient dédommager Edison, la distribution cinématographique leur était tout de même rentable. Parmi ces cas, nous pouvons citer celui de la Biograph [6]. En 1908, Edison opte pour l'option du trust, considérant à l'époque que ce serait la méthode la plus lucrative :
FONCTIONNEMENT DU TRUST MPPC À l'origine, le trust est composé des membres mentionnés ci-haut [8]. La principale raison pour laquelle Edison inclut Méliès et Pathé dans son cartel est motivée par le fait que ces deux compagnies s'étaient taillées une très grande part du marché. Ces dernières avaient signé un accord d'exclusivité avec Eastman Kodak. Tous les membres licenciés du trust étaient obligés de faire affaire avec cette compagnie. De plus, si d'autres compagnies utilisaient et achetaient de l'équipement de Eastman Kodak, ces dernières devaient payer plus cher que les membres du trust, en raison du fait qu'elles devaient débourser des royalties au Trust pour l'utilisation de ce matériel.
Ces compagnies ayant le monopole de la production cinématographique ne louent leurs films qu'au trust. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'Edison a décidé d'accepter Pathé et Méliès dans le trust, ces derniers possédant la plus grande part du marché des importations de films. Edison réclamait une somme de deux dollars par semaine à chaque membre pour être en règle au sein de ce club sélect. Ces derniers possédaient également des droits exclusifs sur les stocks de films, les caméras et les outils de projection. Quiconque ne faisait pas partie du cartel et voulait bénéficier de ces avantages, devait payer davantage, et surtout obtenir la permission d'Edison. On s'adonne à une location des films calculée au métrage. Il est certain que cette pratique aura une très grande incidence sur la qualité des films produits. Tout d'abord, beaucoup d'entre eux se ressemblent. De plus, on réalisait énormément de films peu dispendieux à produire, uniponctuels et prenant lieu dans un même décor [10]. Lorsque les exhibiteurs recevaient ces courts-métrages, ils pouvaient s'adonner à un montage dans un ordre qu'eux seuls voulaient bien adopter. À l'époque, il y avait un mythe à l'effet que les spectateurs préféraient les films d'une longueur inférieure à douze minutes. La suite des choses prouvera la fausseté de ce mythe. Une autre des nombreuses stratégies adoptées par le MPPC d'Edison est le Run-Zone-Clearance-System. Ce système consiste à charger plus cher aux distributeurs des grosses villes, en échange d'une priorité sur la réception et les droits de projection des films.
En 1908, le cartel crée le National Board of Review. L'une des principales motivations poussant le trust à s'auto-réguler ainsi, trouve une bonne explication dans la société victorienne de l'époque. Très à cheval sur les principes inculqués par la Bible, les Victoriens se démarquent par leur purisme. Le National Board of Review a pour but l'auto-censure et l'auto-régulation du contenu cinématographique des productions du trust. Le MPPC percevait le désir de censure comme une menace à leur libre-entreprise et décident de se censurer eux-mêmes. De cette façon, ils évitaient une censure externe, qui leur aurait certes été fort coûteuse. [12] De plus, le fonctionnement gouvernemental américain permettait à chaque État de légiférer comme bon lui semblait sur des sujets comme la censure. Ainsi, économiquement parlant, il est beaucoup plus avantageux pour le Movie Pictures Patent Company de s'auto-gérer, question d'économie de gros sous. Cependant, le National Board of Review n'aura pas les reins suffisamment solides car son impact ne se fera pas sentir, et son autorité quelque peu effacée. Bref, nous pouvons résumer le fonctionnement du Motion Pictures Patent Company sur ces quatres piliers. Tout d'abord, nous avons des produits interchangeables: «Dans un tel contexte, les fournisseurs proposent donc des produits tout à fait similaires entre eux. Les acheteurs ont peu de raisons d'en préférer un plutôt qu'un autre» [13]. Dans un second cas, nous avons la petite taille des vendeurs et des acheteurs par rapport à l'ensemble du marché. En effet,
En troisième lieu, nous avons une absence de limites artificielles: «Les prix de toutes les ressources ( compris la main-d'oeuvre) doivent être en mesure d'évoluer au gré de l'offre et de la demande. Nulle législation, nul cartel ne saurait établir les tarifs» [15]. Finalement, dans un dernier temps, nous avons la mobilité des ressources. Effectivement,
Le MPPC avait pour base ces quatre piliers. Nous verrons au cours des prochaines lignes comment ces fameux piliers furent renversés, et par la même occasion de quelle façon le Motion Picture Patent Company n'a pas franchi la seconde moitié des années 1910. RAISONS DE LA CHUTE DU MPPC Pour mieux parler de la chute du MPPC, nous devons d'abord aborder le sujet en citant des présuppositions ayant cours à l'époque. Tout d'abord, il y avait un mythe populaire à l'effet que les non-licenciés se laisseraient abattre. De plus, Edison et son trust croyaient qu'en s'appropriant les outils de production et de distribution de façon monopolistique, cela aurait pour conséquence d'empêcher les autres compagnies de s'en procurer ailleurs. Finalement, le Cartel ne donnait pas beaucoup d'importance à la qualité, et croyait que cela importait très peu aux spectateurs. Bien qu'Edison avait pris contrôle de la majorité des ressources, les conditions pour entrer dans le monde de la distribution et de l'exhibition étaient relativement faciles à rencontrer. En effet, l'investissement nécessaire n'est pas gigantesque, et donc relativement accessible à tous [17].
Lorsque l'on traite de la chute du Motion Pictures Patent Company, tout comme lorsque l'on traite de beaucoup de sujets au niveau du cinéma des premiers temps, les diverses théories entourant la raison de sa chute divergent d'un auteur à l'autre. Sans totalement adhérer à ces dernières, je crois qu'il est tout de même intéressant de les parcourir, dans le simple but de les connaître, pour ensuite mieux les réfuter. Dans un premier cas, nous avons John Izod [19] qui donne une très grande importance à certains individus, dont Laemmle. Avec l'arrivé de Laemmle [20] dans le clan des indépendants, on crée le Independant Moving Picture Company regroupant les compagnies cinématographiques indépendantes. Ayant pour fournisseurs les frères Lumières, cette nouvelle association débute ses activités en 1909. Une des principales et plus grandes innovations qu’on lui attribue est la création du Star System:
De par ce système, on s'adonne maintenant à une variation des coûts de production des divers films, dépendamment des acteurs et actrices qui y participent. Cela aura définitivement un impact sur la fréquentation des salles par le public. Par la même occasion, on ne vendra désormais plus la pellicule au pied, mais en considération de son contenu. En 1911, le Movie Pictures Patent Company abandonne son entente exclusive avec Kodak, sous la menace de lois anti-trust de l'administration Wilson [22]. En effet, suite à ces avertissements gouvernementaux, Edison hésite et ensuite cesse de poursuivre les indépendants pour un rien, et bientôt, sa poigne de fer perdra de son ardeur tandis que l'émancipation des indépendants aura tôt fait de débuter. Au même moment, les Indépendants créent le Motion Picture Distributing and Sales Company. Cette compagnie était en fait un distributeur. Cependant, à la différence du MPPC, cette dernière vend ses produits, mais n'empêche pas ses membres de se procurer des films chez les concurrents [23]. Bref, si les indépendants ont réussi à se tailler une bonne part du marché, cela s'explique par le fait qu'ils sont parvenus à faire chuter les différents piliers à la base du Movie Pictures Patent Company.
Par des techniques administratives beaucoup plus souples, les Indépendants réussissent à briser le monopole d'Edison.
En faisant ainsi, ils prouvent que le système monopolistique vertical d'Edison n'était pas si rentable, et que l'industrie cinématographique était devenue trop grosse pour que quelques individus soient suffisamment puissants pour être en mesure d'en contrôler chaque aspect, aussi infime qu'il soit. LE SECRET DES INDÉPENDANTS Si l'on résume les techniques adoptées par les Indépendants, on peut résumer le secret de leur succès à quatre principales modifications. Tout d'abord, ils s'adonnent à la production de métrages pluri-ponctuels, ayant des récits plus diversifiés qu'auparavant, et surtout, d'une longueur supérieure à douze minutes. Ensuite, ils prennent le contrôle de la distribution des films au niveau national et international. Ils instaurent un système où les distributeurs qui font affaire avec eux peuvent choisir leurs produits, et surtout peuvent choisir d'aller consulter d'autres maisons de production. Inutile de mentionner que cette nouvelle variation au système aura tôt fait d'améliorer la qualité des nouveaux longs métrages. Maintenant, le contenu importe davantage car la clientèle est plus avertie, désire quelque chose de mieux, et surtout les distributeurs ont remarqué que la qualité avait son influence sur la fréquentation des salles. Afin de rentabiliser cette dernière découverte, les Indépendants vont tirer avantage du fait que seulement un petit nombre de salles au pays auront la permission d'exhiber les nouveaux long métrages. De plus, ces mêmes longs métrages que tous s'arrachent ont la particularité d'avoir des Stars populaires comme tête d'affiche, ce qui a pour conséquence l'augmentation de l'attrait pour ces nouveaux produits. Un autre truc important à ne pas négliger est l'entrée et l'impact de Wall Street dans la production et la distribution de films. En effet, ces investisseurs encourageront et injecteront de l'argent dans les nouvelles productions, mais en tant qu'investisseurs auront maintenant leur mot à dire. En 1913, les premiers circuits de salles de cinéma commencent à remplacer les Nickel Odeons. Ce phénomène a certes eu son impact sur le démantèlement du MPPC en 1915. De plus, ces nouveaux investisseurs auront droit de regard sur les diverses tangentes prises par les films et les lieux de production [26]. Il est très important de mentionner que ces divers changements ne se sont pas faits du jour au lendemain, mais sur une base progressive. Si l'on peut brièvement résumer, nous pouvons dire que le secret des Indépendants fut d'adopter un protocole très structuré, mais d'y avoir été d'une application beaucoup plus souple que le Motion Pictures Patent Company. LA CRÉATION D'HOLLYWOOD Vis-à-vis la création d'Hollywood, divers historiens y vont de leur version. Voilà pourquoi au cours des lignes qui suivent nous parcourrons les différentes théories expliquant la fondation d'Hollywood. Dans les premiers cas, nous assistons à différentes thèses soutenant l'exil des Indépendants en raison des pressions trop grandes de la part des membres du Trust d'Edison. Kevin Brownslow croit à l'exode vers Hollywood pour fuir les détectives privés d'Edison qui s'adonnaient constamment à des descentes [27]. Ce dernier énonce également l'importance de la température californienne, qui est plus agréable, plus chaude, et que son temps d'ensoleillement annuel est beaucoup plus élevé que dans l'est du pays [28]. Une autre des raisons que ce dernier énoncera est l'ambiance que dégage les scènes extérieures - plus relaxe, plus apaisée et beaucoup plus facile à commercialiser [29]. De plus, étant encore en processus de colonisation, l'ouest américain bénéficie de grands espaces très profitables et peu dispendieux à acquérir. Ainsi, les studios peuvent s'installer comme bon leur semble et ne pas se ruiner. Étant près de la frontière mexicaine, certains historiens prétendent que les Indépendants s'y seraient installés en raison de la facilité d’une fuite potentielle ils devaient quitter le pays en vitesse. La position géographique californienne donne une belle terre d'exil aux gens poursuivis par le clan Edison [30]. Cependant, malgré le fait que la migration vers Hollywood pour cause d'exil est peu probable, il n'en reste pas moins que la possibilité d'une main-d'oeuvre à faible coût, qu'elle soit mexicaine ou américaine, est très intéressante. Bref, on déménage à Hollywood, peut-être pour s'exiler, mais surtout pour le climat, il fait plus chaud plus longtemps, avec un hiver moins rigoureux, une luminosité quotidienne plus abondante et d'une plus longue durée, et finalement, on y trouve des installations et une main-d'oeuvre toutes deux très peu coûteuses. Les premiers balbutiements de l'industrie cinématographique hollywoodienne se sont donc faits de façon anarchique, sans véritable structure pré-établie. Voulant contrôler l'ensemble du marché, Edison fait breveter son invention et fait payer quiconque s'en sert, à coups de redevances ou de procès. Il formera le MPPC et le dirigera à l'aide de normes très strictes et sera peu enclin à une malléabilité de ces dernières. Au nombre de ces normes, nous pouvons mentionner un système de production et de distribution vertical, où l'on diffuse des produits interchangeables, de courtes durée et de faible qualité. Cependant, la trop grande rigidité des normes du trust déplaît à quelques membres et ces derniers quittent pour partir un second mouvement, celui des Indépendants. À l'aide de méthodes plus souples, comme le Star System, un système de priorité de distribution, des films plus longs, plus beaux et une possibilité du distributeur et de l'exhibiteur de choisir les produits qu'ils veulent diffuser, les Indépendants recruteront de plus en plus de membres dans leur camp. Bref, les Indépendants ont remporté la partie de par leur capacité à mieux s'adapter aux nouvelles conditions socio-économiques. Certes, l'histoire de l'institutionnalisation du cinéma américain ne s'arrête pas là, mais nous avons ici les bases des premiers balbutiements de l'industrie hollywoodienne telle que nous la connaissons aujourd’hui.
1 - Robert C. Allen et Douglas Gomery, Faire l'histoire du cinéma, Les modèles américains, p. 170. 2 - Frank E. Beaver, On film, A History of the Motion Pictures, p. 13. 3 - Ibid., p. 19. 4 - Ibid., p. 22. 5 - Philipe Raiyer, Initiation au cinéma, p. 86. 6 - John Izod, Hollywood and the Box Office 1895-1986, p. 14-15. 7 - Ibid., p. 16. 8 - Edison, Biograph, Vitapraph pour l'équipement, Essanay, Kalem, Selig, Pathé et Méliès pour la production et George Kleine pour la distribution. 9 - Allen, Robert C., Douglas, Gomery, Faire l'histoire..., p. 171. 10 - John Izod, Hollywood..., p. 17. 11 - Ibid., p. 19. 12 - Ibid., p. 22. 13 - Allen, Robert C., Douglas, Gomery, Faire l'histoire..., p. 168. 14 - Ibid., p. 168. 15 - Ibid., p. 169. 16 - Ibid., p. 169. 17 - Izod, John, Hollywood and the..., p. 26. 18 - Ibid., p. 26. 19 - Ce dernier nous a offert Hollywood and the Box Office. 20 - Laemmle était un ex-membre du MPPC qui avait quitté le Cartel en raison du fait qu'il avait des idées divergentes de celles des dirigeants du Trust. Il fut très important de par son rôle dans l'implantation du Star System. 21 - Izod, John, Hollywood and the..., p. 28. 22 - Président des États-Unis à l'époque. 23 - Izod, John, Hollywood and the..., p. 29. 24 - Allen, Robert C., Douglas, Gomery, Faire l'histoire..., p. 172. 25 - Ibid., p. 172. 26 - Philippe Rauyer, Initiation..., p. 88-89. 27 - Bien qu'il prétende à l'exil pour la survie des Indépendants, Brownslow ne nous donne aucune référence véritable qui aurait pu valider cette théorie. Cependant, pour ce qui est des autres motifs, il semble beaucoup plus crédible et documenté. 28 - Kevin Brownnslow, Hollywood, The Pioneers, p. 90. 29 - Exercice de marketing réussi, notre vision actuelle de la Californie étant une bonne preuve du succès de cette commercialisation. 30 - Veuillez noter que cette théorie de la proximité mexicaine pour l'exil n'est pas très solide car avant même la migration des indépendants à Hollywood, certains membres du trust y avaient déjà installé des studios pour y filmer. De plus, bien que la frontière mexicaine soit relativement près, il faut tout de même compter cinq heures de voiture pour y parvenir.
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