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CLOSING DESPERADOS Selon Carl Scheming, Closing Desperados est un film catastrophique sur un groupe catastrophique, un groupe qui malgré l’indéniable talent de ses membres, n’avait absolument aucune chance de réussir dans le monde aseptisé de l’industrie musicale des années 80, leur leader semble même avoir mené le désastre jusqu’au statut de grand art. Scheming ne connaissait pas Dead Nemesis. Il fit la rencontre de Peter Stafford, mort sur le toit de l’édifice qui abritait son loft. Alors caméraman indépendant, il fut appelé pour couvrir la découverte de ce dernier, gisant sous la pluie. Pressé par son employeur de visiter le loft où Stafford habitait en ermite depuis presque 5 ans, Scheming se découvrit une passion subite pour l’individu lorsque, poussé par la curiosité, il découvrit plusieurs enregistrements, tableaux, films et photographies éparpillés sur le sol avec, sur un écriteau placé en plein milieu, au crayon feutre rouge la mention : "Tout donner à Coliers " Le lendemain, le loft était vide. Commence alors, selon l’expression même de Scheming, un long chemin de croix destiné à savoir qui était Stafford; une obsession qui lui a coûté presque 2 ans de sa vie autant à courir après les pistes, les gens qui ne veulent pas parler et à la recherche de documents quasi inexistants, les Archives Coliers refusant non seulement de lui donner quelque renseignement que ce soit, mais le menaçant également de poursuites s’il continuait dans cette voie. " C’était une question d’engrenage, rien ne semblait prendre prise, c’est seulement le jour ou j’ai rencontré Nancy, le seul lien tangible entre lui, son œuvre et les autres que j’ai pu mesurer le bonhomme, et que le responsable de l’époque des Archives Coliers m’expliqua la raison de leur refus, que tout s’est mis en place " de raconter Scheming, qui ne se fait pas d’illusions sur le succès commercial de son film. " Je n’ai même pas assez d’argent pour le présenter aux festivals, c’est pour cela que j’organise ces petites soirées de projections dans les brasseries. On me donne ce que l’on veut bien et peut-être qu’un jour, on ne sait jamais, mais à part les initiés, qui connaissait Peter Stafford ? " Closing Desperados s’ouvre sur le sous-sol d’un petit salon de coiffure qui abritait autrefois une tabagie où le groupe répétait régulièrement. S’ensuivit des entrevues des membres survivants et, pour le moins que l’on puisse dire, personne ne semble s’entendre sur les circonstances entourant la mort de la chanteuse du groupe et tous sont unanimes pour déclarer Peter Stafford fou dangereux. C’est que Stafford, malgré ses crises d’angoisses, sa violence, ses demandes souvent excessives, était un génie. Un génie dangereux, autodestructeur, égocentrique qui amenait une direction unique au groupe. À chaque fois que les membres du groupe semblaient aller chacun de leur côté, Stafford arrivait avec une idée si brillante que tout le monde était assuré que tout ça allait fonctionner. Pourtant, malgré les problèmes légaux avec les compagnies de disques (dûs au principe d’auto-édition de Peter Stafford qui faisait graver 500 disques avant de proposer les bandes aux majors) et les problèmes personnels, le groupe réussi à survivre grâce à un noyau de fans irréductibles et des tournées épuisantes (en 1992 le groupe donna 322 concerts), tournées qui ne servaient souvent qu’à financer un album qui ne sera jamais publié commercialement. Une scène choc du film est celle de la tournée 87 où, dans un bled du Texas, Stafford casse tout autour de lui sous prétexte que la lead singner s’est suicidée sans lui demander la permission, et qu’il devra chanter pour le reste de la tournée. On comprend également que cette dernière n’a jamais enregistré de disque, Stafford s’occupant des lead vocals en studio. Après s’en être pris à un maître d’hôtel, il fut amené puis passé à tabac par la police locale qui lui confisqua sa prothèse capillaire. En réaction à l’événement, Stafford se rasa la tête tout en se tailladant volontairement le cuir chevelu; c’est avec un visage maculé de sang qu’il fit son spectacle. Le film dont la matière première est souvent des vidéos amateurs et quelques séquences des films de Peter Stafford que sa dernière maîtresse lui avait volé, nous montre de véritables artistes, des gens qui auraient pu avoir une belle carrière si cela n’avait été de la folie de leur leader. Alors que le film débute comme un hommage à un créateur, il semble se terminer en accusation. Que sont devenus les membres ? Eh bien Daniel Rod (le batteur) est maintenant ouvrier en construction habitant en banlieue, son frère Christian (guitariste) est sur la sécurité sociale, se battant pour avoir un droit de visite de ses enfants, Sandra Leman est maintenant en institution psychiatrique. Les courtes séquences d’interviews nous montrent des gens brisés par la vie désirant vivement passer à autre chose, mais à quoi ? Après la projection de Closing Desperados un sentiment nous envahi. Nous avons devant nous la preuve tangible et documentée que même les plus talentueux ne trouveront pas toujours leur place, et même cela, comme dans le cas de Stafford, peut mener à l’autodestruction, non seulement de lui-même mais aussi de tout ce qui l’entoure.
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