La télé-réalité est-elle un « anti-récit », un « squelette de récit », une « lutte contre toute histoire », une « abolit[ion] d'histoire », un « anti-projet » ? Voilà, en gros, les questions auxquelles tentait de répondre un numéro de l'Inconvénient (février 2004) sur la télé-réalité à l'époque où celle-ci créait encore des remous. Or, si les auteurs ont d'une seule voix répondu par l'affirmative, j'aimerais ici tenter d'illustrer l'inverse — non tant, certes, pour (re)valoriser le phénomène télévisuel adroitement disséqué par eux, que pour me risquer à l'éclairer d'un angle différent. Je voudrais ainsi démontrer qu'il est possible, non seulement de retrouver un récit dans la télé-réalité, mais aussi autour d'elle, ou encore, dit plus économiquement, décrire le récit « de » la télé-réalité. Il s'agira, en somme, et deux fois plutôt qu'une, de débusquer le récit là où l'on ne croit pas qu'il se trouve.
Roland Barthes, dans un article devenu classique, l' « Introduction à l'analyse structurale des récits » [1] , soutenait que le récit se retrouvait partout : « dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle » (p. 167) et bien sûr, pourrait-on ajouter aujourd'hui, dans la télé-réalité. « Dans » la télé-réalité mais aussi « autour » d'elle car, en reprenant — et en tentant de remettre au goût du jour — les concepts mis en place par le sémiologue et les « formalistes français », j'aimerais de plus démontrer qu'il est possible, non seulement de lire un seul et même récit dans les différents médias, mais de lier les différents médias en un seul et même récit. [2] Il s'agira, après avoir mis au jour la mise en scène de la réalité de cette télé, de montrer que ce que d'ordinaire l'on sépare (télévision, radio, revues, journaux) ne constitue qu'un seul et même texte et que ce que l'on appelle la « convergence » pourrait être lue comme une sorte d'immense diégétisation du paratexte.
Dans son article, Barthes expliquait que le récit pouvait être décrit à « trois niveaux » : le niveau des « fonctions », celui des « actions » et celui de la « narration » (pp. 174-175). En d'autres termes, s'il n'y a ni fonction, ni action, ni narration dans les émissions que je me propose d'étudier, force sera d'admettre qu'il n'y aura pas de récit. Je suivrai de près cette tripartition tout en me permettant d'étoffer les vues du sémiologue en recourant aux travaux de théoriciens qui, ou bien l'ont inspiré ou bien l'ont poursuivi.
Pour mener à bien ma démonstration, j'ai cru intéressant de comparer la télé-réalité d'« aujourd'hui » à celle d'« hier » et de voir aussi pourquoi deux émissions pourtant diffusées au même moment, nous ont présenté deux « réalités » cependant bien différentes. Aussi, une comparaison entre les émissions Loft Story (TQS) et Occupation Double (TVA) et leur « ancêtre » Pignon sur Rue (TQ), permettra de mesurer les leçons que celles-là ont pu tirer de celle-ci. (Je me permettrai d'ailleurs de passer de l'un à l'autre en cours de route sans trop prévenir.)
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Je rappelle d'abord les faits. Pignon sur Rue (Production Trinôme, 1995-1999) [3] mettait en scène des jeunes qui n'avaient rien d'autre à gagner que leur vie. Nul prix, nulle épreuve, nul couple vainqueur. Ils vivaient las, sous les yeux des caméras à l'épaule, perdant tantôt un boulot, tantôt une blonde. Chacun poursuivait son but, sans rencontrer d'obstacles ni de vilains, improvisant, au gré des jours, son propre « micro-récit ». Et le tout nous était raconté à coup de trente minutes par semaine, sans trop de musique ni de fla-fla, sans confession ni conspiration. « Que vous êtes plates ! [sic] » leur lançaient, via courriel, les téléspectateurs déçus par l'absence de suspense et de rebondissements. Quelques années plus tard, la nouvelle télé-réalité allait tirer profit de ce premier coup d'essai et mettre en place, d'abord, une structure en vertu de laquelle le spectateur pourra effectuer ses propres pronostications et tenter de deviner ce qu'il adviendra des participants, ensuite, un « macro-récit » à l'intérieur duquel il pourra facilement repérer un schéma actantiel et juger de leurs compétences et, enfin, un montage élaboré grâce auquel il pourra goûter les plaisirs d'une narration bien maîtrisée.
Les FONCTIONS
L'étude des fonctions est la première étape de l'analyse structurale des récits. S'inspirant des travaux de Vladimir Propp et de Claude Bremond, Barthes avait d'abord insisté sur ceci que « tout, dans un récit, [était] fonctionnel » (p. 176), que le moindre détail pouvait être perçu comme un « germe [...] qui mûrira plus tard » (p. 176). Les « fonctions cardinales » (p. 180) — ou « noyaux » [4] — sont, poursuivait-il, les « charnières du récit [...] inaugur[ant] ou conclu[ant] une incertitude » (p. 180) et pouvant, « en maintenant une séquence ouverte » (p. 202), créer du « suspense » et « renforce[r] le contact avec le lecteur » [5] (p. 202). Les « séquences », auxquelles on pourra toujours donner un nom[6] , constitueront l'« armature » (p. 183) assurant la « lisibilité du récit »[7] (p. 217). Le récit, concluait-il, peut donc être décrit comme une sorte d'« organisme processif, en devenir vers sa "fin" » (p. 209) qui choisira toujours le terme qui « assure[ra] sa survie » (p. 210) et « l'issue qui [fera] "rebondir" l'histoire » (p. 210).
On sait que Barthes reprendra cette idée, dans S/Z, mais selon une tout autre perspective. Il parlera alors de « code proaïrétique »[8] (p. 26) que j'aurais tendance à rapprocher de ce qu'il appelait, dans le même ouvrage, du « code herméneutique » (p. 26), code qui regroupe ces termes « au gré desquels une énigme se centre, se pose, se formule, puis se retarde et enfin se dévoile » (p. 26).[9] Aussi appellerais-je pour ma part « noyau » (ouvrant ou fermant) tout élément qui, ou bien commencera une « action », ou bien posera une « question » dont on attendra qu'elle se termine ou qu'elle se résolve.
Bref — et c'est, je crois, ce qu'il faut retenir —, Barthes disait que le récit donnait ainsi l'illusion d'une chronologie, voire d'une causalité, puisque ce qui « vient après [est] lu [...] comme causé par » (p. 180 et p. 357) ou « a l'air produit par ce qui était avant » (p. 212). Or, dans le récit, soutenait-il, il n'y a pas de conséquences, il n'y a que des consécutions ; il n'y a pas d'ordre chronologique, il n'y a qu'un ordre logique. [10] Pour expliquer la même chose simplement, je dirais que, dans le récit, rien n'est « causé par », mais que tout est « fait pour ». Et Barthes admettra que la séquence « parfaite » sera la plus « logique » et que cette logique « n'est rien d'autre que le développement du probable aristotélicien », c'est-à-dire du « vraisemblable » (p. 214).
Cette idée sera reprise et habilement poursuivie par Gérard Genette dans son article « Vraisemblable et motivation » [11] . Après avoir parlé d'un vraisemblable « d'époque » et évoqué un vraisemblable « de genre », Genette en retient un qu'il nomme « économique » ou « fonctionnel » (p. 92). C'est un vraisemblable dont la fin détermine les moyens, dont les effets déterminent les causes (p. 94). À l'instar de son prédécesseur, il soutient aussi que le récit est écrit « en fonction de la fin » (p. 93) et que ses déterminations sont « rétrogrades » (p. 94). « M. de Clèves, donne-t-il en exemple, ne meurt pas parce que son gentilhomme se conduit comme un sot, mais le gentilhomme se conduit comme un sot pour que M. de Clèves meure. » (p. 94)
Cependant, Genette ajoute à l'idée de « vraisemblance », celle de « motivation ». Celle-ci est « ce qu'il faut pour dissimuler [l]a fonction » (p. 97), la manière dont les noyaux se cachent « sous un masque de détermination causale » (p. 96), ce qui naturalise la fiction « en dissimulant ce qu'elle a [...] d'artificiel » (p. 97), ce qui transforme, le moyen en cause, la fin en effet, elle est, bref, ce « parce que chargé de faire oublier le pour quoi » (p. 97). « Don Quichotte, dira-t-il, est donné comme érudit pour justifier l'intrusion de passages critiques dans le roman, le héros byronien est déchiré pour justifier le caractère fragmentaire de la composition des poèmes de Byron, etc. » (pp. 96-97)
Suivant l'exemple de Barthes, on dira que l'achat d'un pistolet (noyau ouvrant une séquence) a pour corollaire le moment où le personnage s'en servira (noyau fermant la séquence). Suivant celui de Genette, on dira que le personnage a acheté un pistolet, non pas parce qu'il était déprimé, mais qu'il était déprimé pour qu'il puisse « motiver » l'achat d'un pistolet et ensuite se suicider. Ainsi, la déprime « motive » — vraisemblabilise — l'achat du pistolet, et l'achat du pistolet ouvre une « séquence » qui se fermera quand le personnage s'en sera (funestement) servi.
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Est-il possible maintenant de retrouver, dans la « réalité » à laquelle nous a donné accès ces émissions, des « noyaux » ouvrant et fermant des « séquences » ? Celles-ci pourront-elles faire l'objet de « nomination » et être abritées de « mots-couverture » ? Sera-t-il possible de repérer, dans ce qui ne saurait être écrit « en fonction [d'une] fin », l'« armature » assurant la « lisibilité » du récit ? Et les « fonctions cardinales » (s'il y en a) auraient-elles à être dissimulées sous des « masque[s] de détermination causale » ?
Dans Pignon sur Rue, les concepteurs étaient, comme ceux qu'ils filmaient d'ailleurs, à la remorque des aléas du quotidien. Aussi des « noyaux » semblaient-ils semés à tout vent et devions-nous nous attendre à les voir mourir plutôt que mûrir. Les « séquences » s'ouvraient sans cesse, sans jamais se refermer tout à fait (ou bien se fermaient subitement sans avoir été préalablement ouvertes). Et, comme ces participants n'étaient pas filmés en permanence, un « noyau » pouvait peut-être bien germer, mais non dans le champ de la caméra. Aussi l'ensemble donnait-il l'impression d'un vaste jardin inculte.
Cependant, lors de la dernière saison, une chance inouïe sourit aux concepteurs. Une participante allait fournir, bien malgré elle, le fil conducteur dont on avait besoin. Dès le début de l'émission, cette jeune femme, qui se distinguait des autres par son maternalisme (nous avons pu la voir, par exemple, accueillir chez elle sa jeune sœur, s'inquiéter de sa santé, lui offrir du lait et des biscuits, etc.) avoua avoir « envie de nouveau ». Une séquence s'ouvrait. Une question se posait. Qu'allait être ce « nouveau » ? Elle reçut alors — chance inouïe, donc ! — une déclaration d'amour de la part d'un admirateur qui l'avait vue à la télé (et qui n'était pas — j'ai l'information de source sûre, i.e. du principal « intéressé » ! — « arrangé avec le gars des vues »). L'intrigue rebondissait ! Un suspense se créait ! Allait-elle lui répondre ? Oui ! Allaient-ils vivre ensemble ? Évidemment ! Mais « l'amour peut-il durer toujours ? » nous fut-il donné de lire par un « hasard » bien orchestré celui-là sur une carte postale collée sur le frigo de l'appartement par l'entremise d'un zoom appuyé. Bien sûr ! Allaient-ils fonder une famille ? Une sage-femme allait nous le confirmer ! Les mots-couverture se posaient d'eux-mêmes — « vie de colocataire », « vie de couple », « naissance d'un enfant » — et les motivations — « envie de nouveau », « maternalisme » — vraisemblabilisaient le tout. C'est peut-être d'ailleurs ce qui expliqua la popularité de cette participante qui, plutôt que les autres, fut choisie, à l'époque, comme porte-parole d'une campagne publicitaire sur les maladies transmissibles sexuellement !
Toutefois, on aura deviné qu'une telle « chance » ne sourit pas toujours aux concepteurs. Et aussi avons-nous pu voir des scènes dont le traitement induisit à penser qu'elles auraient une suite sans que cela fût pourtant le cas. Lors d'une émission, nous avons pu assister — pour ne citer que ce seul exemple — à une discussion entre l'un des participants et la copine d'un autre (à l'insu de celui-ci) qui, par les jeux de plongés, de contre-plongés et de mouvements de caméra nerveux et saccadés (un style dont allait d'ailleurs tirer profit 24 heures chrono quelques années plus tard), laissa croire à une éventuelle idylle qui, évidemment, n'eut jamais lieu. On nous menait ainsi sur de fausses pistes, nous promettait de folles aventures, nous faisait miroiter l'espoir de voir quelques scènes suaves et sulfureuses, tout autant de promesses en l'air qui (à défaut d'une partie de jambes…) ne pouvaient faire autrement que de rembrunir les plus patients téléspectateurs sans cesse déçus par le manque de suite dans les idées, de suspension du suspense, de vice sans fin. Notre première télé-réalité, par son manque de cohérence, par ses causes sans effets, par sa chrono sans logique, par ses germes mûrissant hors-champ, souffrait donc d'une certaine « illisibilité » dont ses successeurs allaient tirer leçon.
La « nouvelle » télé-réalité a donc évacué ces flottements, ces indécisions, ces déceptions en prenant soin d'établir, d'entrée de jeu, des règles strictes, un canevas simple, une fin connue d'avance. Les plus dérisoires défis posés par les concepteurs du loft (se passer les menottes, décorer une citrouille) et les plus somptueux voyages proposés aux habitants du domaine Point zéro (des montagnes Rocheuses aux îles Turquoises) n'avaient d'autres fonctions que de donner une cohérence au récit, de lui fournir une « armature », d'en assurer la « lisibilité ». Ainsi, et suivant en cela de très près les propositions de Roland Barthes, « se passer les menottes » avait pour corollaire « se défaire les menottes », « partir en voyage » avait pour corollaire « revenir de voyage », etc. Ces événements, tout artificiels, naturalisaient le récit, assuraient sa survie, créaient le suspense dont on avait besoin, nous dirigeaient lentement mais sûrement vers sa fin. Nous pouvions dormir tranquille, le terme de ces actions allait nous être livré au tournant. On savait nous mener.
De plus, non satisfaits de ces petites distractions et de ces grands divertissements, les concepteurs ont même pris soin de mettre en scène un narrateur délégué, bon semeur, qui allait attirer notre attention sur les menus faits de la semaine ou de la journée et planter lui-même les noyaux auxquels « la suite » allait apporter une lumière. Qui allait rester ? Qui allait partir ? Qui allait coucher avec qui ? Le téléspectateur, sachant qu'on allait rester, partir ou coucher, revenait donc « après la pause » ou « la semaine prochaine » pour savoir avec qui. De la même façon, certaines mentions écrites venaient sans cesse assurer la cohérence et la lisibilité du récit. Il n'était pas rare de lire, par exemple : « Y aurait-il un froid entre Julie et Nicolas ? » (Loft Story), « Brigitte et Samuel, où en sont-ils ? » (Loft Story), « Marielle est-elle toujours amoureuse de Samuel ? » (Occupation Double), etc. Questions auxquelles « la suite » allait donner une réponse et aussi rasséréner les plus inquiets. Bien que fortement « catalytique » — la « catalyse » étant cette seconde « fonction » qui consiste à « "remplir" l'espace » entre deux noyaux (Barthes, 1985 : 180) — le récit se dirigeait bien savamment vers une fin, tout en nous laissant sur la nôtre.
Même le plus imprévisible événement ne pouvait pas ne pas s'inscrire dans cette « logique du récit » (Cl. Bremond). La fuite inopinée des deux lofteurs (pour qui se souvient de ce moment tragique), loin de dégonfler l'entreprise, lui redonna un second souffle. Dans une émission proposée en catastrophe sur l'heure du midi à TQS, le 22 octobre 2003, nous avons pu voir un Gilles Proulx agité demander : « [Le] remplaçant [...] il va avoir une longueur d'avance [...] il va être privilégié le nouveau qui va arriver » et Philippe Fehmiu, animateur de Loft Story, le rassurer candidement : « Avantagé, désavantagé, c'est ce qu'on va voir la semaine prochaine » (je souligne). De la même façon, une journaliste, durant la même émission, conjectura le plus sérieusement du monde : « On a vu deux garçons qui ont choisi de quitter… maintenant, est-ce qu'il y aura des filles qui emboîteront le pas… c'est à suivre dans les prochaines semaines » (c'est encore moi qui souligne). Nous le voyons, on ne s'en échappe pas si facilement.
Les ACTIONS
Revenons (plus sérieusement) à Barthes. L'étude des « actions » prend le relais de l'analyse des « fonctions ». Car si le récit peut se « bris[er] au niveau fonctionnel », il demeure toutefois « unitaire au niveau actantiel » (p. 189). En d'autres termes, il peut ne pas y avoir de « rapport[s] séquentiel[s] entre [deux] épisode[s] », il subsistera toujours, à un « niveau supérieur » — à un niveau où l'on retrouve les mêmes personnages d'une séquence à l'autre — un « rapport actantiel » (p. 189). Le terme proposé n'a donc rien à voir avec les « actions » proprement dites (qui sont, en fait, les « fonctions ») mais avec les « personnages » posant ces actions.
Ce sont donc les personnages qui assurent cette cohésion entre les séquences. Et ceux-là doivent être définis, non par leur « psychologie » (p. 190), mais par leur « participation à une sphère d'actions » (p. 191), c'est-à-dire selon la place qu'ils occupent dans le « schéma actantiel ». Algirdas-Julien Greimas, auquel Barthes se réfère explicitement, avait proposé « de décrire et de classer les personnages du récit, non selon ce qu'ils sont, mais selon ce qu'ils font (d'où leurs noms d'actants), pour autant qu'ils participent à trois grands axes sémantiques [...] qui sont la communication, le désir (ou la quête) et l'épreuve » (p. 191). Le « niveau des Actions [sic] », conclut-il, renvoie donc « aux grandes articulations de la praxis (désirer, communiquer, lutter) » (p. 191). On le sait, toute l'œuvre de Greimas a cherché par la suite à mettre en place une grammaire grâce à laquelle il serait possible d'expliquer « tous les récits du monde » (Barthes, 1970 : 9). Il n'est peut-être pas inutile d'en rappeler brièvement les grandes lignes.
Le sémioticien avait d'abord mis en place, dès sa Sémantique structurale (1966), un « schéma actantiel » grâce auquel il était possible de repérer, dans tout récit, un « sujet » désirant un « objet », un « destinateur » l'incitant à se le procurer, un « destinataire » susceptible d'en profiter, de même que différents « adjuvants » et « opposants » chargés d'aider ou de freiner le « sujet » dans sa quête [12] . Ces « actants », étoffait-il par la suite dans ses Essais sémiotiques (1970 et 1983), peuvent, une fois inscrits dans un « programme narratif », être « modalisés » et donner naissance à différents « rôles actantiels » [13] . Et ces « rôles actantiels », relevant de la « composante syntaxique », peuvent être associés à des « rôles thématiques » — sorte de « qualification » ou d'« attribut » (Greimas, 1970 : 256) ou encore d'« unités qualificatives et/ou fonctionnelles » (Courtés, 1976 : 95) — relevant de la « composante sémantique » [14] . Enfin, cette rencontre entre rôles actantiel et thématique donnera naissance à l'« acteur » [15] .
Le « programme narratif », dans lequel l'« acteur » sera inscrit, peut quant à lui se décomposer en quatre étapes (voir Groupe d'Entrevernes, 1979 : 13-67) : la phase de « manipulation » (où un contrat est passé entre un « destinateur » et un « sujet opérateur » en vue d'un « faire-faire »), la phase de « compétence » (où le « sujet opérateur » doit acquérir les « objets modaux » tels le « pouvoir-faire » ou le « savoir-faire » nécessaires à la réalisation de son « faire »), la phase de « performance » (où le « sujet opérateur » réalise ce « faire », transforme un état en un autre) et la phase de « sanction » (où un « destinataire » juge le « faire », évalue cette transformation). Évidemment, un récit pourra mettre en branle plusieurs « programmes narratifs ». Le « sujet » désirant obtenir un « objet » constituera un « PN de base » ; s'il lui faut au préalable acquérir un autre « objet » avant d'obtenir celui-là, on notera ce second programme « PN d'usage » (Greimas et Courtés, 1979 : 298).
De la même façon, l'« objet » aura, ou bien une « valeur de base », ou bien une « valeur d'usage ». [16] Cependant — et c'est surtout ce qui doit retenir l'attention —, parler d'« objet » en soi n'a pas de sens (Greimas, 1983 : 22). En effet, l'« objet » apparaîtra toujours comme « un espace de fixation, comme un lieu de réunion occurrentielle de déterminations-valeurs ». [17] La valeur s'investira ainsi dans un « objet » dès qu'un « sujet » sera en rapport (jonctif ou disjonctif) avec lui. En d'autres termes, l'« objet » de la quête pourra, à proprement parler, être n'importe quoi (un anneau, une princesse, une émission de télévision). Il suffira qu'un « sujet » désire cet « objet », que ce « sujet » s'engage dans une longue quête pour l'obtenir, que cet « objet » risque de passer aux mains d'« opposants » que le sujet devra affronter, que l'échec soit évité grâce à différents « adjuvants » qui l'auront aidé, et enfin que l'« objet » profite à un « destinataire » qui le sanctionnera positivement pour qu'enfin cet « objet » soit investi d'une valeur que nous ne saurions lui discuter. C'est pourquoi il faudra, pour rendre compte de la « valeur », porter attention à la « mise en scène syntaxique » de l'« objet » (Greimas, 1983 : 22).
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Les participants de notre télé-réalité n'étaient-ils que des « acteurs » décomposables en « rôle actantiel » et « rôle thématique » ? Poursuivaient-ils une quête ? Leurs parcours allaient-ils être jonchés d'obstacles ? Allions-nous les juger comme de simples personnes ou bien en fonction de leur compétence à exécuter un programme narratif ? Leur objet allait-il être investi de valeur ?
N'évoluant ni dans des décors en carton-pâte ni entre des murs en contre-plaqué, les participants de Pignon sur Rue, quand ils sortaient, étaient vraiment dans la rue. Aussi, plutôt quêteurs qu'en quête, aucun d'eux ne recherchait de princesse, ni n'affrontait de dragon. Armés seulement de patience, ils tardaient à laisser poindre le rôle qu'ils jouaient dans ce piètre programme. Cependant, lors de la dernière saison, un couple partit en voyage en Amérique du Sud. Dès les premières émissions, ils avouèrent avoir depuis longtemps préparé ce voyage. Nous avions, dès lors, notre objet, déjà désiré, déjà valorisé. Un programme narratif n'allait pas tarder à se mettre en place. On ne part pas dans le sud, sans recevoir quelques vaccins d'usage ; ce qui nous permettra de voir, lors de leur passage à la clinique, des affiches sur lesquelles nous pouvions lire : « Voyager, c'est dangereux ! » ou « Ne jouez pas au Risk ». Dès lors, la quête s'annonçait jonchée d'obstacles. Partant, nous allions les voir aux prises avec des scorpions dans leur chambre et des ouragans sur leur route, victimes de moult voleurs et de multiples diarrhées. Nous assisterons enfin, au terme de leur voyage, à une fête olé olé à laquelle les concepteurs donnèrent, grâce à des flous visuels et des réverbérations sonores, un air gaiement psychédélique — le traitement effectué valorisa ainsi jusqu'à leurs déboires. Le final, sur une paisible plage ensoleillée, et leur retour à Montréal (indemne!), sanctionna positivement cette aventure.
Mais, on s'en doute, ce type d'évasion, instiguée par les participants mêmes, n'était pas légion. Certains, à défaut d'arriver en ville (ou d'en partir), s'y arrimèrent. Plus d'un n'aura, en fait, cherché qu'à tuer le temps. Deux participants — dont les rôles thématiques se résumeraient, pourrait-on dire, au « coquet » et au « fonctionnaire » — feront, à côté de nos voyageurs du sud, bien pâle figure. Tous deux semblaient avoir bien peu de motivation pour quoi que ce soit, ne réussissaient même pas à nommer leur désir, ne rencontraient jamais d'obstacles dans leur quête (si tant est qu'ils en poursuivissent une), parvenaient à des buts malgré eux ou grâce à d'autres (quand bien même ils n'avaient rien demandé). Pour ne citer qu'un seul exemple, rappelons que l'un d'eux se fit laisser, au début de la série, par sa copine et qu'il s'en fit trouver une autre (!) — et sans même l'avoir demandé — par sa colocataire. Ainsi, cet « objet », à peine « désiré », facilement « acquis », eut aux yeux des téléspectateurs, bien peu de « valeur ». C'est pourquoi plusieurs se demandaient continuellement si notre jeune premier aimait vraiment sa dernière conquête. Heureusement pour lui, le principe de l'« exclusion des candidats » n'était pas encore venu à l'esprit des créateurs.
Les enjeux étaient, en effet, bien différents dans le Loft et pendant l'Occupation (où le cafardage et les éliminations étaient de mise). Le schéma actantiel — tout comme les appartements d'ailleurs — était construit sur mesure. En entrant dans la pièce, les participants n'avaient d'autre choix que de revêtir le rôle qui les y attendait. Le programme était simple : la seule compétence nécessaire dans ce jeu, était de ne pas en jouer. Ne pas jouer de « game » ! Rester soi-même ! Tel était le « défi » qui attendait les participants. De cette façon, seulement, ils pouvaient « performer », et recevoir enfin la « sanction » tant attendue : l'amour (et/ou l'argent).
Les « gars » étaient ainsi les sujets d'une quête dont l'objet — les « filles » — gagnait en valeur par le seul fait d'être convoité par ceux-là, ces « gars » qui étaient, à la fois, autant d'opposants l'un pour l'autre que des objets pour celles-ci, objets qui gagnaient à leur tour en valeur puisque convoités par ces « filles » qui s'opposaient les unes aux autres et ainsi de suite… Le cercle était vicieux (tout comme la « valeur » tant recherchée par les candidats : trouver quelqu'un avec de belles… « valeurs » ! ). Qu'importe, le « conflit », créé d'avance, avait de quoi rasséréner les plus anxieux. Un couple allait triompher ! La dynamique de ce schéma fut d'ailleurs bien résumée par l'une des participantes françaises de Loft Story lors de l'émission Enjeux (présentée à Radio-Canada le 14 octobre 2003) : « Au départ, on est comme une bande de copains, et en fait, quand la première phase d'élimination commence à se mettre en place, c'est là où on se rend compte finalement qu'on est plus des copains, mais qu'on commence à être des rivaux. » Nul besoin de poursuivre plus avant l'enquête.
Mais, non satisfaits d'écrire à l'avance les rôles actantiels d'un PN usé, nos concepteurs ont surtout pris soin de définir aussi les rôles thématiques. Dans la même émission, Mathias Gurtler, journaliste pour VSD, expliquait : « [Il y a] un livre de recettes [...] et qu'est-ce qu'on y retrouve ? [...] La « bimbo » qui a un passé de Cendrillon et qui fait pleurer toute la France et le personnage "gay" ou la fille lesbienne qui fait son "coming out"… ». L'équipe d'Enjeux avait tenté de poursuivre la liste : « une "bimbo" siliconée, ambiguïté sexuelle, petit-bourgeois, un gars un peu macho, un intello, une fille nature, une grande gueule… ». Jean-Luc Lory, dans La Voix de l'Est, écrivait pareillement : « [...] pour le casting [du Loft Story français], on avait recruté des stéréotypes de la société française. La bourgeoise coincée et un brin vulgaire, la fille "peace and love", la blonde pulpeuse et sexy aux seins siliconés, le beau gars, le doux rêveur et j'en passe... » (12 juillet 2003) À Paule Vermot-Desroches, journaliste au Nouvelliste, l'animatrice du Loft Story québécois, Renée-Claude Brazeau, confiait : « On tente de recréer un portrait socio-démographique du Québec. Un intello, une grano, un introverti, une extravertie. » (25 juillet 2003)
C'est ainsi qu'en plus de jouer un rôle actantiel dans un programme écrit d'avance, nos « acteurs » ont aussi campé des rôles thématiques bien définis. N'y avait-il pas, et dans Loft Story, et dans Occupation Double, le « beau gars » (Samuel et Éric), l'« introvertie » (Léa et Livia), l'« ambivalent » (Marie-Laurence et Pascal), la « grande gueule » (Hugues et Natacha), l'« artiste » (Mathieu et Pierre), en plus du « policier » (Yannick et Caroline) et de la « bitch » (Mélanie et Geneviève) [18] . On aura donc brillamment fait de ces personnes, des personnages. Et si les candidats n'ont pas joué de rôle, je dirais cependant que l'on s'est drôlement joué d'eux.
La NARRATION
Je reviens, une dernière fois, à l'article duquel je suis parti. L'étude de la « narration », concluait Barthes, marque le terme de l'analyse structurale des récits. C'est le niveau « couronnant les niveaux antérieurs » (p. 200), celui où « viennent s'intégrer les unités des niveaux inférieurs » (p. 199). Se référant à Tzvetan Todorov, qui lui-même s'inspirait des Formalistes russes et d'Émile Benveniste, Barthes précise que l'on passe ici du niveau de l'« histoire » — niveau comprenant la « logique des actions » et la « "syntaxe" des personnages » (que je viens d'étudier) — au niveau du « discours », comprenant « les temps, les aspects et les modes du récit » (p. 174) ; on reconnaîtra les termes utilisés par Genette lors de ses études narratologiques. Reprenant la dichotomie hjelmslévienne, certains diront que l'on passe ainsi d'une étude du « plan du contenu » à une étude du « plan de l'expression ». [19]
Cependant, si je me contenterai seulement ici d'évoquer quelques notions narratologiques, je me tiendrai, encore une fois, assez proche de l'article de Barthes (à partir duquel je prendrai mes libertés) d'où ces notions sont absentes. Celui-ci, bien en amont des développements qu'allait connaître la narratologie, s'intéresse plutôt aux « signes de la narrativité » (p. 198), c'est-à-dire aux « signes du narrateur » et aux « signes du lecteur » (p. 194). Et comme ces « signes » sont « immanents au récit, et par conséquent parfaitement accessibles à une analyse sémiologique » (p. 195), Barthes propose de « décrire le code à travers lequel narrateur et lecteur sont signifiés le long du récit » (p. 194).
Dans un article paru dans le même numéro, « Les catégories du récit littéraire » [20] , Todorov, auquel Barthes renvoie, précise le travail à faire. Il y aborde la question de l'« image du narrateur » et de l'« image du lecteur » (p. 152). Aussi, pour entrevoir l'image du premier, faudrait-il se placer à un « niveau appréciatif » et chercher les « appréciation[s] morale[s] » (p. 152) derrière les « actes » (p. 153) et les « descriptions » (p. 152). Du même coup, on verra se dessiner l'« image du lecteur » qui nous renseignera sur le « rôle » que nous devons jouer (p. 153). En effet, conclut-il, « dès que l'image du narrateur commence à ressortir plus nettement, le lecteur imaginaire se trouve lui aussi dessiné avec plus de précision » (p. 153).
S'intéresser aux « signes du narrateur », ce sera donc, comme le dit Todorov, s'intéresser, entre autres, aux « aspects et [aux] modes du récit » (p. 152), c'est-à-dire à la « manière dont l'histoire est perçue par le narrateur » (p. 145) — la focalisation [21] — et au « type de discours utilisé par le narrateur pour nous [la] faire connaître » (p. 145) — l'énonciation [22] — à quoi j'ajouterais le « thème », voire le « monde », qui nous est raconté, et qui est tout aussi susceptible de nous en apprendre sur les « appréciations morales » du narrateur. [23]
Cependant, les structuralistes restent peu loquaces sur la question du « rôle du lecteur ». Et aussi faudra-t-il attendre un livre comme celui de Vincent Jouve, L'effet-personnage dans le roman (1992), pour en avoir une idée plus précise. L'auteur la rattache à la fois au « thème » abordé et à la « focalisation » adoptée. Selon lui, le lecteur (ou le spectateur) s'identifiera à celui qui a le même savoir que lui (focalisation interne). Dans le même ordre d'idées, le lecteur pourra se projeter — être « en-dessous », craintif ou respectueux — dans le personnage dont il en sait moins (focalisation externe) ou se distancier — être « au-dessus », condescendant ou paternaliste — du personnage dont il en sait plus (focalisation zéro). Semblablement, le lecteur (ou le spectateur) sympathisera avec le personnage qui s'ouvrira le plus — notamment par le recours à des « récits de parole » (Gérard Genette) et des « récits de pensée » (Dorrit Cohn) — et qui abordera le plus franchement les thèmes relatifs à l'« amour », l'« enfance », le « rêve » et la « souffrance ».
Enfin, la question de l'énonciation demande quelques réaménagements. Les traces que le narrateur laissera dans son « discours » se révéleront différemment selon que l'on écrit un texte ou que l'on réalise un film ou une émission. Comment se manifeste donc cette « subjectivité » ? Plusieurs théoriciens ont certes parlé de la « monstration » de l'appareil énonciatif à l'écran, voire de sa « diégétisation », de même que du fameux « regard à la caméra » — deux procédés soulignant l'énonciation — mais il est une autre marque qui manifeste encore plus directement la « subjectivité » de l'énonciateur et qui est relevée par François Jost dans La télévision du quotidien (2001) : l'« énonciation performantielle » (p. 58). Il précise : « Dès que l'on sent le corps de celui qui filme par un mouvement brusque, un tremblement, une hésitation, la caméra devient une personne : et elle signifie le témoignage oculaire. Se détachant du monde auquel elle adhérait comme une pellicule, l'image apparaît alors pleinement comme une énonciation. [...] L'accent sur l'énonciation filmique ou sur l'énonciation audiovisuelle renforce l'apparence d'authenticité du document. » (p. 57) [24] A contrario, précisera-t-il, « lorsque aucune de ces marques d'énonciation ne renvoie à la prise de vues, nous avons parfois l'impression que l'image nous restitue le réel » (p. 57).
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Comment la « réalité » télévisuelle nous a-t-elle été racontée ? Y avons-nous eu accès en toute « objectivité », sans parti pris ni jugement de valeurs ? Y avait-il un narrateur orchestrant le tout, choisissant les images et dessinant la sienne ? Est-il possible de découvrir la subjectivité de ce « méga-narrateur filmique » (selon l'expression d'André Gaudreault) et, du même coup, la place qu'il nous a réservée, le rôle qu'il nous a fait jouer ?
Dans Pignon sur Rue, une seule caméra — dont nous sentions d'ailleurs souvent la présence (par des ombres, des réflexions, des mouvements brusques) — suivait les participants. Le travail effectué sur la forme (la « forme de l'expression » dirait Metz, après Hjelmslev) était donc tout aussi rudimentaire : d'hésitants montages alternés, de timides récits de pensée, peu de flashs-back, pas de musique. On aura tenté, malgré tout, de « fictionnaliser » cette réalité, sous peine de lasser les plus patients. On essaya en effet, la plupart du temps, de nous faire oublier que ce que nous voyions était la « réalité ». Cependant, lors de certains moments que l'on pouvait deviner cruciaux, on sut, en quelque sorte, tirer profit de cette narration bancale en incluant l'appareil énonciatif à la diégèse. En effet, celui-ci, qui tentait pourtant de s'effacer, s'affichait par moment, devenant le signe tantôt de la confession, tantôt de la connivence. Qu'une scène se fît tristement gênante ou qu'un participant passât nerveusement aux aveux, l'appareil énonciatif se faisait subitement sentir, comme pour nous dire : « Attention, ce que vous voyez est vrai ! ». Les « à-coups authentifiants » dont parlait Jost, trahissaient les « appréciations morales » du narrateur qui tirait profit du moral (plutôt bas) des participants.
Il était par ailleurs possible de déceler d'autres signes de narration, d'autres traces de subjectivité. La focalisation grâce à laquelle on nous a transmis certains événements a, par moment, trahi un certain parti pris. Ainsi, l'épisode lors duquel la participante reçut la lettre d'un admirateur nous fut montré en focalisation interne : nous partagions le même savoir qu'elle. En recevant, en ouvrant et en lisant la lettre avec elle, nous subissions, pour ainsi dire, la même surprise. Aussi aurait-on pu, par exemple, rencontrer l'admirateur avant et filmer ensuite la réaction de la participante de façon à avoir un ascendant sur elle. On préféra susciter l'identification du spectateur. C'est cependant une focalisation zéro (ou omnisciente) que l'on privilégia lors de la fête réservée au « coquet », fête dont nous avons pu voir les préparatifs et grâce à laquelle nous pûmes, en quelque sorte, assister à la « surprise » du jeune homme dont les joues rougirent sous nos yeux. En en sachant plus que lui, nous le regardions de haut, et ne pouvions faire autrement que d'adopter une attitude un peu paternaliste à son égard. On aurait évidemment pu ne pas nous mettre dans la confidence et nous faire vivre la surprise avec lui. Mais cela aurait donné une tout autre image du narrateur, et nous aurait fait jouer un tout autre rôle. Visiblement, on préférait la jouvencelle au joufflu.
La « nouvelle » télé-réalité allait, quant à elle, dissimuler ses caméras, cacher ses micros et, du coup, masquer son énonciation. Dès lors, grâce à ces kilomètres de pellicules au fil desquels nous voyions les participants s'ingénier à se débarrasser des leurs, grâce à la grande richesse d'un matériel d'une tout aussi grande pauvreté, montages alternés et parallèles foisonnèrent, flashs-back et flashs-foward fourmillèrent, zoom et panoramique abondèrent. Et cela sans parler des récits de pensée au confessionnal ou sur un canapé qui nous permettaient d'en savoir plus que les autres (et sur les autres) et de la musique larmoyante qui accompagnait fatalement l'exclu jusqu'à la porte. Bref, on en aura fait toute une histoire !
Un seul exemple permettra, d'abord, de mesurer les effets qu'auront eus sur le téléspectateur les jeux de focalisation. Qui ne se souvient de cet épisode où tout le Québec se demandait qui de Julie-la-prof ou de Léa-le-mannequin allait être éjectée du loft? Une focalisation omnisciente nous permit d'apprendre, lors d'une discussion de groupe, ce que l'on pensait de la prof (absente de la discussion) dont on noircissait abondamment le tableau. Dès lors, connaissant sa souffrance, le Québec sympathisa avec elle et congédia l'ardent mannequin dont le silence l'avait semble-t-il laissé de glace. En en sachant plus que la prof, il était normal que nous la prissions en pitié.
D'autre part, il faut aussi remarquer que si la diégèse, qui naquit ainsi du choix et de la juxtaposition de ces séquences (bref, du montage), avait pour effet de fictionnaliser le vécu des participants, ce vécu lui-même était fictionnalisé. Non satisfait de pouvoir manipuler à leur gré le matériel filmique pour nous offrir une belle narration, les concepteurs auront également — et contrairement à ce qui se passait dans Pignon sur Rue — manipulé le profilmique [25] . Et cette manipulation aura pu, elle aussi, nous livrer un « signe » de la subjectivité de leurs narrateurs. En effet, comme les « réalités » filmées par l'un et par l'autre réseau n'étaient pas semblables, force est d'admettre qu'elles ont été mises en scène par deux narrateurs différents.
Car qu'elles étaient les réalités présentées ? Loft Story nous montrait des « jeunes ordinaires » enfermés entre quatre murs, tournant en rond, s'épuisant à relever le plus embarrassant défi (ramasser les honneurs lors d'un faux gala ou les crottes du chien sur la véranda), et victimes, une fois par semaine, d'une sorte de fatalité qui allait les jeter sur la place publique où l'on procéderait à leur humiliation. Occupation Double faisait plutôt accéder les « jeunes ordinaires » au rang de stars. De leur arrivée en limousine, à leurs sorties à Paris et Las Vegas, en passant par leurs bombances en robe de bal et tuxedo, ces participants ont plutôt vécu « la vie des gens riches et célèbres. » Ces deux « mondes » ne laissaient-ils pas aussi transparaître la subjectivité de ceux qui nous les avaient mont(r)és ?
* * *
Reprenons. L'analyse structurale étant faite, le « récit » étant trouvé — aux trois « niveaux » —, il me faut maintenant ouvrir la perspective et reprendre le questionnement depuis le début en m'intéressant cette fois, et conformément au programme que je me suis donné en tête d'article, non au récit dans l'émission, mais à l'émission elle-même en tant qu'elle est inscrite dans un récit plus grand. En d'autres termes, il me faut reprendre le travail depuis le début et poser les questions suivantes : S'il y avait des « noyaux » dans ces émissions, peut-on aussi soutenir qu'elles étaient elles-mêmes les « noyaux » d'un récit plus grand ? S'il y avait des « objets de valeur » dans ces émissions, peut-on également avancer qu'elles étaient elles-mêmes des « objets de valeur » d'un programme plus large ? Et s'il y avait des « signes » du narrateur transpirant de ces émissions, peut-on pareillement maintenir qu'elles étaient elles-mêmes des « signes » d'une narration plus vaste ? Je tenterai maintenant de démontrer que notre « nouvelle » télé-réalité n'a pas seulement mieux dirigé la mise en scène de son récit, mais qu'elle a aussi fait tout un récit de sa propre mise en scène.
Les FONCTIONS
Ainsi, si des « noyaux » peuvent se retrouver dans le récit, se peut-il que le récit soit lui-même le « noyau » d'un récit plus grand ? Se peut-il que l'émission elle-même soit ce « germe qui mûrira plus tard » — inaugurant une incertitude, posant une énigme et créant le suspense assurant sa survie ? Se peut-il encore que l'émission elle-même soit ce masque chargé de dissimuler l'artifice, de naturaliser la fiction, de vraisemblabiliser ce qui viendra après elle ?
Une des grandes trouvailles de notre récente télé-réalité est d'avoir découvert qu'une fois la « télé » disparue, il restait tout de même la « réalité ». Et que cette réalité, était aussi la nôtre. En d'autres termes, ces gens qui s'étaient ébaudis sous notre nez pouvaient continuer de le faire dans notre dos. Aussi a-t-on cru bon lancer des émissions de radio et fonder diverses revues qui allaient tout nous révéler sur ce qui s'y tramait. S'aimaient-ils vraiment ? Étaient-ils toujours ensemble ? Le récit « rebondissait » effectivement, mais hors de l'émission, dans un autre médium, assurant ainsi son immarcescible « survie ». Et comme « le récit doit noter les deux termes du rapport, sauf à devenir "illisible" », le téléspectateur allait devoir, d'abord changer de médium, mais aussi très souvent payer les frais de cette lisibilité.
Quand Caroline-la-policière décide de poursuivre Mikaël-le-minet à l'extérieur du domaine Point zéro, une question se pose : resteront-ils ensemble ? Pour que cette séquence devienne « lisible », le téléspectateur allait être obligé d'écouter l'entrevue « exclusive » de l'exclu sur les ondes de Radio Énergie ou bien de se procurer un exemplaire du Lundi [26] . Quand Éric « The Plastic man » fond pour Isabelle plutôt que Natacha, une séquence se ferme, mais deux s'ouvrent : comment l'une allait-elle vivre sa peine et les autres, leur amour ? Pour le savoir, il fallait au plus vite se procurer le Dernière heure [27] et le Journal de Montréal [28] . Une séquence s'ouvrait sous nos yeux pour se refermer ailleurs, et l'émission elle-même devenait le « masque » chargé de vraisemblabiliser cette dérive. [29]
Mais l'émission elle-même était aussi le noyau qui avait pour corollaire tantôt une autre émission (de télé ou de radio), tantôt un livre, tantôt un disque. Déjà François Jost, dans L'empire du Loft (2002), remarquait que, chaque fois qu'un participant était exclu, un producteur lui offrait, comme par hasard, un emploi dans le domaine des arts et des communications. Le Loft, disait-il en substance, n'aura servi qu'à mettre en place de futures vedettes qui se seront démarquées par un trait caractéristique et qui allaient connaître une certaine gloire dans le domaine pour lequel elles semblaient prédestinées. Et ce « trait caractéristique » ressemble étonnamment à ce « masque de détermination causale » dont parlait Genette, masque qui allait faire de cette fin prévue d'avance (la gloire, la reconnaissance, le succès), le vraisemblable effet d'une cause. [30]
Ici, on aura vu Marie-Laurence devenir animatrice, Yanick, chroniqueur, Mathieu, chanteur, Julie, journaliste. Ceux-ci s'étant démarqués, et ayant acquis à peu de frais un capital de sympathie, leur succès (journalistique, musical, radiophonique ou télévisuel) devenait donc « vraisemblable ». Et de la même façon qu'un personnage se servant d'un pistolet sans l'avoir préalablement acheté (ou l'ayant acheté sans pourtant être suicidaire), l'arrivée subite de ces nouvelles vedettes sur la scène médiatique sans leur préalable passage dans le loft (ou ce passage dans le loft sans leurs traits distinctifs), nous aurait paru invraisemblable. Il fallait donc les motiver.
Enfin, on peut aussi remarquer que certaines caractéristiques de l'émission (le direct, l'aspect ludique) masquaient à leur tour des noyaux qui avaient pour corollaires différents gestes que le public allait devoir poser. Encore une fois, François Jost ne pensait pas autrement, lui qui écrivait, dans le même ouvrage : « La réduction de Loft Story à la vie de ses habitants occulte les ressorts de la stratégie de M6 qui visait, en fait, à promouvoir trois produits : une émission prétendument en direct, diffusée par satellite sur TPS ou sur l'internet, moyennant un droit à payer ; un résumé quotidien de la journée des lofteurs, à 19 heures ; et une émission de près de trois heures, diffusée en prime time, chaque jeudi. [...]Pour vendre aux téléspectateurs l'abonnement au satellite, l'argument du direct devait être mis en avant. » (p. 53, je souligne)
De fait, « proposer une connexion », « sauver un candidat » n'étaient que les noyaux de séquences dont les termes étaient « s'abonner » ou « téléphoner », séquences qui n'étaient ni plus ni moins que les « masques » chargés de rendre tout « naturel » la dépense (combien artificielle) que nous allions faire. Écrit en fonction de son insatiable faim, notre récit se devait donc de nous rendre cette dépense vraisemblable. Faire de l'argent — fin mot d'une histoire dont nous n'étions que les piètres marionnettes — n'était évidemment qu'un secret de Polichinelle. Mais le plus intéressant dans toute cette histoire, c'est de voir comment celle-ci fut structuralement bien écrite.
Les ACTIONS
Il me faut maintenant répondre à la question suivante : si tout récit met en scène l' « objet » d'une « quête » qui sera investie de « valeur », se peut-il que le récit lui-même, que l'émission elle-même, soit cet objet inscrit dans une quête plus large, plus grande et plus diffuse, qui sera, à son tour, aussi investie de valeur ? Se peut-il que le discours ayant entouré ces émissions, ait constitué un immense programme narratif ? Les émissions elles-mêmes n'ont-elles pas été l'objet d'une mise en scène, d'une impossible histoire à dormir debout ? N'en a-t-on pas fait les objets que l'on allait, lentement mais sûrement, investir d'indiscutables valeurs ?
Dès le 15 novembre 2001, nous pouvions par exemple retrouver, dans La Presse et Le Soleil, le « sujet » de notre « quête », mû par un « désir » (qui n'avait alors rien à voir avec ses autres désirs, que l'on connut tristement par la suite, plus inavouables et combien plus répréhensibles, et qui donnèrent lieu — mais c'est une tout autre histoire — à un tout autre récit) : après avoir adapté la Fureur, Guy Cloutier (je souligne) « veut en faire autant avec Loft Story » et « souhaite renouveler cette frénésie » (Le Soleil). Nous pouvions également retrouver les phases de « compétence » et de « performance » : « Guy Cloutier a acheté le concept français et l'a proposé à TVA » (Le Soleil). Nous pouvions aussi entrevoir l'éventuelle « lutte » et ses nombreux « opposants » : « On imagine déjà l'angoisse de Fabienne Larouche si un Loft Story québécois devait affronter chaque soir Virginie » (Le Soleil). Et nous pouvions enfin prendre connaissance de notre « destinataire » : Guy Cloutier « croit que l'émission adaptée ici ferait le bonheur des Québécois » (La Presse). [31]
À l'émission Enjeux, abordée plus haut, on étoffait bizarrement le même programme. Nous y retrouvions, la phase du « contrat » entre le « destinateur » français et le « sujet » québécois (c'est toujours moi qui souligne) : une séquence nous montrait Guy Cloutier flanqué de son avocat quittant la maison de production Endemol, en France, où ils venaient de finaliser l'achat de l'émission. Son avocat : « La dernière fois [qu'on est venu ici] c'était [...] il y a trois ans, pour voir le loft [...] et là on revient trois ans après, là on vient signer le contrat. » et Cloutier de répondre : « C'est ce qu'on appelle être tenace ! ». Puis, nous y retrouvions l'acquisition des « compétences ». Le commentaire d'Alain Gravel : « En achetant les droits de l'émission Loft Story, Guy Cloutier mettait la main sur la Bible de la compagnie Endemol qui, dit-on, contient la recette du succès. Une recette qui dépend beaucoup [...] du choix des candidats. » Fort de la récente acquisition de son « objet » d'usage — la « Bible » (ou le « livre de recettes », c'est selon) — notre « sujet opérateur » n'avait plus qu'à se lancer dans sa « quête » — trouver les candidats — et nous en faire bienveillamment profiter.
Dans la seule journée du 12 juillet 2003, les journaux rendaient compte de cette « performance », de cette « quête » aux candidats (je souligne encore) : « le producteur et le diffuseur s'apprêtent à faire le tour du Québec pour recruter les célibataires qui participeront à l'émission. "Tout est dans le casting, avoue [...] Cloutier. C'est notre plus grand défi." ». [32] Nous retrouvions également l'aide apporté par l'« adjuvant » : « Quant à la sélection finale, nous serons conseillés par les équipes françaises de l'émission » [33] et de la haine montrée par les « opposants » : « Guy Cloutier le sait [...] les détracteurs sont nombreux : "Je vais sans doute être la cible de critiques, dit-il." ». [34]
De plus, on n'a pas manqué d'investir dans ce « sujet » — dont le « rôle actantiel » était aussi d'être le « sujet opérateur » du « faire » —, un « rôle thématique » fort positivement valorisé. Je ne citerai qu'une phrase de cette apologie (combien déplacée aujourd'hui!) parue dans L'Actualité [35] : « Malgré ses 63 ans, Guy Cloutier [...] a gardé l'enthousiasme de sa jeunesse. L'œil vif, le sourire frondeur, les pommettes saillantes, il parle trop vite et vous donne du "tu sais, Pierre" après cinq minutes d'entretien, question de vous mettre en confiance et de vous faire sentir comme si vous étiez son grand ami ». Un « sujet » comme celui-là (croyait-on à l'époque) ne pouvait pourchasser que d'audacieux et glorieux objectifs.
Enfin, même ce qui échappa manifestement aux concepteurs fut récupéré dans ce programme narratif. Je reviens évidemment à cette sortie inopinée, à mi-parcours, des deux lofteurs. À son émission du midi, précédemment abordée, Gilles Proulx nous propose, dans son « bulletin spécial », une entrevue avec Mme Thérèse David, vice-présidente aux communications de TQS, qui enrichit, malgré elle (?), ce programme peuplé d'écueils et de vaillants collaborateurs (je souligne toujours) : « On a passé l'après-midi à décider ce qu'on ferait [...] et toute l'aventure a fini à 9h00 hier soir [...] tout le monde est allé faire son boulot, ça été d'une rapidité étonnante et les gens des productions Guy Cloutier ont été très très très collaborateurs. »
Enfin, la « sanction » fut donnée par le « destinataire », le public québécois, celui dont on ne cessait de dire qu'il « décidait » et à qui l'on faisait croire que l'on était là « pour lui » (je souligne) : « L'adaptation québécoise de Loft Story [...] a permis à TQS d'enregistrer les meilleures cotes d'écoute de son histoire. » [36] , « Loft Story [a] dominé les cotes de la maison BBM avec des pointes de [...]2 033 000 spectateurs » [37] , même si « en dépit de sa popularité auprès du public, la série [...] n'a pas généré les revenus qu'espéraient [sic] le réseau TQS » [38] . Mais qu'importe, nous avions été au poste !
Ainsi mise en scène, cette émission n'a-t-elle pas été l'« objet » d'une vaste « quête » (dans laquelle, encore une fois, on nous incluait) ? N'a-t-on pas, du même coup, en nous parlant de la « ténacité » de son sujet, des multiples « critiques » dont il fut victime, des moult secours apportés par un groupe « très très très collaborateur », investi cette émission d'une valeur toute positive ? Qu'aurait été, au fond, cette émission sans tout ce cirque ? Encore une fois, nous voyons comment le récit de cette télé-réalité fut structuralement bien orchestré.
La NARRATION
Il me faut enfin tenter de repérer les « signes » à travers lesquels les narrateurs, dont je postule l'existence, ont été signifiés le long des récits, voire de ces « grands récits » que sont les chaînes à l'intérieur desquelles nos « petits récits » n'étaient que des maillons. La question, calquée sur les deux précédentes, serait la suivante : s'il est possible de repérer les « signes du narrateur » à l'intérieur d'un récit, se peut-il que le récit lui-même, que l'émission elle-même, ne soit que l'un des « signes » d'une narration plus vaste ? Se peut-il que l'image du narrateur, dont nous avons eu une idée plus haut, se profile également dans l'émission d'avant et dans celle d'après ou encore ailleurs, dans les diverses revues et les divers journaux affiliés ? Il s'agirait, en somme, de démontrer que les « réalités » qui nous furent présentées étaient différentes tout simplement parce qu'elles étaient « écrites » par deux narrateurs différents, liés à deux chaînes différentes.
Selon ce qui a été dit plus haut concernant la différence entre l'« histoire » et le « discours », on comprendra que je ne m'attarderai pas ici — puisque mon propos est de montrer que le récit qui m'intéresse raconte une seule « histoire » grâce à plusieurs « discours » (et non plusieurs « histoires » grâce à un seul « discours ») — aux questions relevant de la « narratologie de l'expression ». Il ne saurait donc pas être question ici, comme plus haut, des jeux de focalisation, des récits de parole ou de pensée ou encore du « rôle » que l'on nous ferait jouer. Je me placerai plus spécifiquement à ce « niveau appréciatif » dont parlait Todorov et qui me permettra de relever les « signes du narrateur » auxquels s'intéressait Barthes. Mes préoccupations tourneront donc plus spécifiquement autour des « thèmes » abordés.
J'ai démontré, plus haut, comment l'image d'un narrateur se dessinait derrière Loft Story, qui mettait de l'avant le « dérisoire » et l'« inévitable » et derrière Occupation Double, qui privilégiait la « gloire » et l'« argent ». Est-il alors possible d'étendre ces « appréciations morales », ces « thèmes », à l'ensemble de la programmation ? Que raconte donc TQS et TVA ? À quoi reconnaîtrait-on, par exemple, le « narrateur » de l'émission du matin, du film de fin de soirée, des informations et des talk-shows mêlés ? Laisserait-il, de ça de là, quelques traces nous permettant de le repérer ?
TQS, tout le monde le sait, a toujours privilégié l'insignifiant et l'infortune ; ses films sont des films-catastrophes, ses manchettes font état des accidents et des agressions, les animateurs de ses émissions de variétés tablent sur un humour grivois, souvent douteux. On n'aura par exemple qu'à passer en revue quelques-uns des titres de films que l'on y a présenté depuis le début de l'année 2004 pour entrevoir une image de son narrateur (et, du coup, de son téléspectateur) : Liaison fatale, Analyse fatale, L'arme fatale, Fatale innocence, Obsession fatale, Dérive fatale, Beauté fatale, Alerte noire, Alerte imminente, Virus mortel, Nuits mortelles, Terreur extrême, Limites extrêmes, La fin des temps, et j'en passe. De la même façon, ses différentes émissions de variétés auront pour titre : Rire et délire, Fun Noir, Faut le voir pour le croire, Testostérone, Sexy cam, Voyeur, Kama Sutra, etc. N'était-ce pas là les « appréciations morales » — fatalité, crainte, angoisse, délire et sexe… — que nous retrouvions aussi à l'intérieur du loft ?
TVA, ce n'est plus un secret pour personne, présente plutôt une vision manichéenne du monde — d'un côté, les « gens ordinaires », de l'autre, les « vedettes » avec, quelquefois, le passage des uns dans le panthéon des autres, par le simple fait de… passer à TVA. [39] Il suffit, encore une fois, de jeter un rapide coup d'œil sur ses diverses émissions pour constater qu'elles nous mènent toujours sur le chemin de la gloire : que l'on pense, par exemple, à Star Académie ou Michèle Richard, aux Galas (des Olivier ou des MétroStars), aux Biographie, Musicographie et autres Comicographie (sortes d'auto-consécration à peine parodique), à ces émissions nous présentant la vie des gens riches et célèbres (Hollywood le prix de la gloire, Top Modèle, Les Top 10… des Chambres d'hôtels les plus dispendieuses, ou des plus beaux Casinos) ou à celles nous mettant en contact avec ceux-là : des Coulisses de Don Juan à Dans ma caméra, en passant par les Spécial Céline Dion, Spécial artistes et autres Demandes spéciales. Encore une fois, n'est-ce pas là l'œuvre d'un même « narrateur » ? N'était-ce pas les thèmes — beauté, gloire, conquête, adulation, richesse… — que nous retrouvions aussi dans Occupation Double ?
Une lecture rapide des diverses revues affiliées à l'un ou à l'autre réseau confirmerait la présence de ce même « narrateur ». Dans le premier numéro du magazine Allô ! (14 novembre 2003), visiblement de mèche avec Loft Story, nous retrouvions, en plus de la manchette « Le flic de Loft Story se vide le cœur », des titres aussi fatalistes que : « Désespérée, cette gambler se poignarde », « 3 ans de pénitencier ! », « La Californie calcinée ! », tandis que le 7 jours de la même période (29 novembre 2003), propriété du groupe Quebecor Media, possédant aussi le réseau TVA, nous invitait, en première page, et grâce à des titres combien plus enivrants, à « Découvr[ir] le décor intime de [n]os vedettes » et à suivre « [Le] dernier voyage de rêve [de] Natacha, Éric et Isabelle ».
Bref, il semble qu'il soit ainsi possible de retrouver, dans ces différents « discours », une seule et même « histoire ». Les deux chaînes apparaissent ainsi cacher deux « narrateurs », dont chaque émission ne constituaient qu'un « signe ». Ces narrateurs masqués ont toutefois marqué de leur subjectivité, non seulement l'ensemble de leur canal, mais aussi la « réalité » qu'ils y ont, chacun, présentée. Des deux narrateurs, peu importe le médium, et peu importe l'émission, il appert que le premier contemplait le malheur des uns, et que le second nous faisait envier le bonheur des autres. Nous avions donc là deux émissions qui étaient tout à fait en phase avec le spectacle plus grand, plus large et diffus qui les incluait, deux récits fidèles à leur « poste ».
* * *
Il est maintenant temps d'y mettre un terme.
J'ai démontré, d'abord, que l'on pouvait, à partir d'une analyse structurale, rendre compte du récit (aussi futile fût-il) présent dans la télé-réalité (là où plus d'un n'en voyait pas). La nouvelle télé-réalité a d'ailleurs — c'est le point sur lequel j'ai cru bon insister — marqué d'ingénieuses avancées (si l'on peut s'exprimer ainsi) par rapport à l'ancienne. Pignon sur Rue n'avait misé ni sur les « fonctions », ni sur les « actions », ni sur la « narration » pour assurer la « lisibilité » de la réalité qu'elle nous présentait. Loft Story et Occupation Double ont quant à elles pris soin de poser, d'entrée de jeu, non seulement les tours du monde et les rodomontades qui manquaient à leur prédécesseur, mais aussi un narrateur commentant l'action, posant des questions, créant du suspense, faisant rebondir l'histoire et assurant la survie dont le récit avait besoin ; elles ont aussi pensé à dresser un schéma et à dessiner les rôles actantiel et thématique à l'intérieur desquels les participants n'ont eu, sans le savoir, qu'à prendre place ; elles ont enfin, en installant de nombreuses caméras et tout autant de micros, trouvé le moyen de faciliter le traitement narratif et réussi, du même coup, à fictionnaliser cette réalité (qui était d'ailleurs déjà fictionnalisée). Le « récit » était ainsi triplement garanti. Comment aurait-il pu en être autrement ? Un récit sans fonctions claires, sans actions déterminées, sans narration maîtrisée se serait vu confiné dans les salles obscures des cinémathèques fréquentées par une poignée de cinéphiles endurcis!
J'ai démontré, ensuite, que l'on pouvait également, toujours à partir d'une analyse structurale, donner corps à un récit moins voyant, plus fantomatique, voire spectral, présent autour de la télé-réalité (là où peu auraient songé à le chercher). C'est là aussi une des principales inventions de cette nouvelle télé-réalité. Certes, d'aucuns n'auront manqué de remarquer que cela est évidemment lié à ce que l'on appelle la « convergence » ou la « concentration » des médias. Quebecor media possède TVA, Radio Énergie et plusieurs revues et journaux dont le Journal de Montréal, le Lundi, le 7 jours et le Dernière heure. Les Productions Guy Cloutier étaient à la fois présentes à TQS, à CKOI et dans le magasine Allô !. Il est évident que chacun de ces véhicules aura fait la promotion des produits que son groupe mettait lui-même en scène. Mais l'analyse que j'ai proposée a surtout permis de voir que cette mise en scène était, elle aussi, structuralement bien orchestrée. Le récit né de la concentration, est sorti de son cadre, s'est infiltré dans son propre paratexte, s'est décentré pour mieux se mettre en scène (et nous mettre en boîte). On pourrait même avancer que la convergence ne cherche pas seulement à diffuser différents spectacles, mais à rendre un seul et même spectacle plus diffus.
Cependant, en semant et en disséminant leurs noyaux d'un canal à l'autre, nos narrateurs ont paradoxalement flirté avec l'« illisibilité ». À défaut de noter, à l'intérieur d'un même médium, les deux termes de leurs séquences, ces récits pouvaient effectivement ne pas être « suivis ». Aussi a-t-on semblé miser sur le fait que le téléspectateur allait suivre le récit… n'importe où ! Peut-être faudrait-il alors proposer, afin de rendre ce récit diffus plus tangible, un troisième axe à ceux proposés par Roland Barthes dans son analyse structurale des « fonctions ». Dans son article, il expliquait comment le récit fonctionnait sur un axe horizontal, où sont les « noyaux », qui ont leur sanction « plus loin », et un axe vertical, où sont les « indices » et les « informants » — les renseignements secondaires — et qui ont leur sanction « plus haut » (p. 179), c'est-à-dire au niveau des « actions » ou de la « narration ». [40] Faudrait-il alors parler d'un troisième axe, diagonal celui-là, dont les sanctions seraient ni « plus loin » ni « plus haut » mais « ailleurs », c'est-à-dire dans un autre médium ?
Il semble maintenant évident que Loft Story et Occupation Double, et ce malgré leur insignifiance — mais tout est signifiant dans un récit, même l'« insignifiant » disait Barthes — ont su, mieux que leur prédécesseur, nous prendre dans les rets de leurs récits. Récits certes que l'on nous contait, mais aussi dans lesquels nous les comptions. Car, en plus de raconter si activement ces récits — aussi passifs pussent-ils être — la grande affaire de cette télé-réalité ne fut-elle pas — plus passivement encore — d'être racontée. Nos émissions, elles-mêmes « noyaux » de dénouements qu'elles motivaient, elles-mêmes « objets » de quêtes qui les valorisaient, elles-mêmes « signes » de narrations qui les englobaient, faisaient donc partie d'un « récit » plus grand qu'elles. Mais aussi, parce que le spectateur a besoin de fables écrites en fonction d'une fin, d'aventures où des sujets se lancent dans diverses quêtes, de narrations raffinées les tenant en haleine, nos émissions n'ont pu faire autrement que de nous raconter différents récits. Mais, à trop vouloir décrire ces petits récits par lesquels nous étions pris, il s'en sera fallu de peu que nous ne vissions ceux, plus grands, dans lesquels on nous prenait.
Jean-Marc Limoges
Montréal, Février 2006
1 - L'article est paru originalement dans la revue Communications, n° 8 (1966). Toutes les citations seront cependant tirées de L'aventure sémiologique (1985) dans lequel l'article fut repris. Les italiques seront de l'auteur. Les autres articles que je citerai seront tous aussi tirés de cet ouvrage.
2 - Cette antimétabole est moins forcée qu'elle en a l'air. Barthes lui-même, revenant quelques années plus tard, dans S/Z (1970), sur son propre travail, ne disait-il pas, dès l'incipit, que « les premiers analystes du récit », c'est-à-dire lui-même (!), auraient bien voulu « voir tous les récits du monde […] dans une seule structure» (p. 9, je souligne).
3 - Je ne m'intéresserai ici qu'à la quatrième et dernière saison (1998-1999).
4 - Que Barthes distingue des « catalyses », des « indices » et des « informants » (auxquels je ne m'intéresserai pas ici).
5 - Une « séquence » est une « suite logique de noyaux, unis entre eux par une relation de solidarité. [Elle] s'ouvre lorsque l'un de ses termes n'a point d'antécédent solidaire et elle se ferme lorsqu'un autre de ses termes n'a plus de conséquent. » (p. 186) Ailleurs, dans son « Analyse textuelle d'un conte d'Edgar Poe », Barthes dira que les séquences sont des sortes de « microstructure [construisant] une attente et sa résolution » (p. 358).
6 - En effet une séquence est toujours « nommable » (p. 186), elle peut recevoir un titre qui ressemble à des « mots-couverture » (p. 187). Pareillement, dans S/Z, Barthes dira : « Quiconque lit le texte rassemble certaines informations sous quelque nom générique d'actions (Promenade, Assassinat, Rendez-vous), et c'est ce nom qui fait la séquence. » (p. 26)
7 - Dans « Les suites d'actions », Barthes répétera que « le récit doit noter les deux termes du rapport, sauf à devenir "illisible" » (p. 214).
8 - Ou encore, dira-t-il dans « À propos d'Actes 10-11 », de « code actionnel » (p. 303). Dans S/Z, il précisera : « Se référant à la terminologie aristotélicienne qui lie la praxis à la proaïresis[…], on appellera proaïrétique ce code des actions […]. De plus, comme ces actions s'organisent en suites, on coiffera chaque suite d'un nom générique, sorte de titre de la séquence […]. » (p. 25) Voir aussi « Les suites d'actions » (p. 210).
9 - Dans « À propos d'Actes 10-11 », Barthes parlera d'« une séquence élémentaire, à deux noyaux, du type Question/Réponse » (p. 308). Cependant, dans son « Analyse textuelle d'un conte d'Edgar Poe » il distinguera un « code actionnel (fondé sur un ordre logico-temporel) » et un « code de l'Énigme [sic] (la question se couronne de sa solution) » (pp. 358-359).
10 - Il reprendra plus loin, dans son « Analyse textuelle d'un conte d'Edgar Poe » : « Les termes de la séquence actionnelle sont liés entre eux […] par une apparence de logique. » (p. 356) Puis conclura : « La temporalité et la causalité, bien que, dans le récit, elles ne soient jamais pures, nous paraissent fonder une sorte de naturalité, d'intelligibilité, de lisibilité de l'anecdote. » (p. 357)
11 - L'article est paru originalement dans la revue Communications, n° 11 (1968). Toutes les citations seront tirées de Figures II (1969) dans lequel l'article fut repris. Les italiques seront de l'auteur.
12 - Les « actants », lira-t-on dans le Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (1979), désignent « un type d'unité syntaxique, de caractère proprement formel, antérieurement à tout investissement sémantique et/ou idéologique » (Greimas et Courtés, p. 3).
13 - Le « sujet » pourra, par exemple, être doté des modalités « du vouloir-faire, du savoir-faire ou du pouvoir-faire : dans ce cas, [il] assume ces rôles actantiels que sont le sujet selon le vouloir, le sujet selon le savoir, le sujet selon le pouvoir-faire » (Greimas et Courtés, 1979 : 4).
14 - Le « rôle thématique » serait une sorte de « thème […] pouvant être rapporté à quelqu'un, à un personnage déterminé » (Courtés, 1976 : 91). Il existe aussi des « rôles thématiques » fortement stéréotypés comme « la « marraine », le « bucheron » [sic], le « curé », etc. » (Courtés, 1976 : 93).
15 - L'« acteur » est, grosso modo, l'équivalent du « personnage » tel que l'usage commun l'entend. Il est, en sémiotique, « le lieu de convergence et d'investissement des deux composantes syntaxique et sémantique. [Il est] porteur d'au moins un rôle actantiel et d'au moins un rôle thématique. » Il pourra être, par exemple, « individuel (Pierre) ou collectif (la foule), figuratif (anthropomorphe ou zoomorphe) ou non figuratif (le destin) » (Greimas et Courtés, 1979 : 7-8).
16 - Par exemple, écriront comiquement Greimas et Courtés dans leur Dictionnaire : « la banane qu'essaie d'atteindre le singe est une valeur de base, alors que le bâton qu'il ira chercher pour exécuter ce programme ne sera pour lui qu'une valeur d'usage » (p. 415).
17 - L'exemple de Greimas est éclairant : « Lorsque quelqu'un, par exemple, se porte acquéreur, dans notre société d'aujourd'hui, d'une voiture automobile, ce n'est peut-être pas tellement la voiture en tant qu'objet qu'il veut acquérir, mais d'abord un moyen de déplacement rapide, substitut moderne du tapis volant d'autrefois ; ce qu'il achète souvent, c'est aussi un peu de prestige social ou un sentiment de puissance plus intime. L'objet visé n'est alors qu'un prétexte, qu'un lieu d'investissement des valeurs, un ailleurs qui médiatise le rapport du sujet à lui-même. » (Greimas, 1983 : 21)
18 - Pour ne citer qu'un exemple, je rappelle que nous retrouvions, en première page du Dernière heure : « Geneviève [d'Occupation Double] : celle par qui le scandale arrive (18 octobre 2003) ainsi que dans les pages du Soleil : « Mélanie [de Loft Story, était] la bitch de service » (29 octobre 2003).
19 - André Gaudreault, dans Du littéraire au filmique (1999) parlait quant à lui d'une narratologie du contenu « dont le principal représentant est assurément Algirgas-Julien Greimas » et d'une narratologie de l'expression « dont le principal représentant est, à n'en pas douter, Gérard Genette » (pp. 46-47).
20 - On se référera, pour cet article, à la réédition du numéro de la revue Communications aux éditions du Seuil (1981), pp. 131-157.
21 - La question de la focalisation a été longuement traitée, en littérature, par Gérard Genette, et au cinéma, par François Jost. Pour dire la chose simplement, ou bien nous en savons plus que le personnage (et nous sommes en « focalisation zéro » ou « omnisciente ») ou bien nous en savons autant que le personnage (et nous sommes en « focalisation interne ») ou bien nous en savons moins que le personnage (et nous sommes en « focalisation externe »). Ces jeux de focalisation peuvent évidemment changer en cours de route (Genette parle alors de « focalisation multiple »). Voir, de Genette, « Discours du récit » in Figures III (1972) et, de Jost, L'Oeil-Caméra. Entre film et roman (1987).
22 - La question de l'énonciation fut d'abord mise de l'avant par Émile Benveniste, puis largement enrichie, en linguistique, par Catherine Kerbrat-Orecchioni dans L'Énonciation. De la subjectivité dans le langage (1980) et, au cinéma, entre autres, par Christian Metz dans L'énonciation impersonnelle ou le site du film (1991) et par François Jost dans Un monde à notre image. Énonciation, cinéma, télévision (1992).
23 - Ce monde, est-il besoin de le rappeler, a évidemment peu de choses à voir avec le nôtre. Todorov précise d'ailleurs qu'« il existe deux interprétations morales ». Il y en a certes une que « les lecteurs donnent sans se soucier de la logique de l'œuvre [et] qui peut varier (…) suivant les époques et la personnalité du lecteur » (p. 153). Mais il y en a une autre, qui est « intérieure au livre » (p. 153). Il s'agit de voir ce qui, dans le texte, reçoit une appréciation positive et une appréciation négative, appréciations qui, rappelle enfin Todorov, peuvent « ne pas être celle de l'auteur ni la nôtre » (p. 153)
24 - Il poursuivra : « Lorsqu'il veut augmenter la crédibilité visuelle d'une scène de pure fiction ou faire croire qu'un événement a réellement eu lieu, le réalisateur n'hésitera pas à imiter les procédés qui caractérisent les genres authentifiants (…). Cette feintise s'observe aussi bien dans les genres ouvertement fictifs que dans ceux qui prétendent nous informer de faits avérés, mais avec des effets différents » (p. 57) — il parlera aussi, par exemple, des « à-coups authentifiants » (p. 57).
25 - Le « profilmique » fut défini pour la première fois par Étienne Souriau dans L'Univers Filmique (1953). Il regroupe « tout ce qui existe dans le monde […] mais qui est spécialement destiné à l'usage filmique ; notamment : tout ce qui s'est trouvé devant la caméra et a impressionné la pellicule ». Cité par André Gaudreault dans Du littéraire au filmique (p. 30, n. 10).
26 - Le Lundi, vol. 27, n° 41, 13 décembre 2003.
27 - Dernière heure, vol. 10, n° 38, 6 décembre 2003 et vol. 10, n° 45, 31 janvier 2004.
28 - Le Journal de Montréal, vol. XL, n° 216, 20 janvier 2004.
29 - On notera aussi que le récit pouvait également fonctionner, pour ainsi dire, dans l'autre sens. On pouvait, par exemple, semer un noyau, poser une question, dans une revue et le voir germer, la voir se résoudre, dans une émission subséquente. Il en fut ainsi lors de la parution du Lundi (vol. 27, n° 24, 25 octobre 2003) qui, en page couverture, faisant état des « rumeurs » sur Occupation Double, titrait : « un gay, un imposteur, trip à trois, seins refaits, complots… » et qui, en page 10, demandait sans détour : « Qui est le gay et qui est l'imposteur ? » et en page 12 : « Qui complote contre qui ? ». Évidemment, il s'agissait là de questions auxquelles la revue n'apportait aucune réponse. Elles ne consistaient qu'à « inaugurer [des] incertitude[s] » que l'on allait apaiser au cours de l'émission ou lors de l'émission spéciale présentée après la finale officielle. L'animateur Éric Salvail avait d'ailleurs en main, lors de cette émission, ledit numéro et s'ingéniait à mettre un terme à toutes ces rumeurs.
30 - Jost écrivait, dans L'Empire du Loft : « […] les sorties des exclus du loft sont de fameux trompe-l'œil. À chaque fois, le rituel est le même : acclamation du public, pleurs, impressions et… « surprise » : un professionnel fait une proposition d'embauche au candidat. Ce soir, c'est Frédéric de Vincelles, directeur de Fun Radio, qui s'adresse à Steevy […]. Pour Julie, Régis Ravannas, directeur de M6 […] de même que Kimy se voit proposer d'animer le « chat » d'un site internet […] Kenza, une émission de radio sur Fun Radio, et Aziz, de tourner dans une série policière… Le téléspectateur peu attentif à l'identité de ces professionnels y vit d'abord la preuve du talent des candidats et de « l'effet Loft Story », conte de fées de la vie moderne. Depuis, Steevy a été embauché par Laurent Ruquier sur Europe 1. Laure anime une émission pour Téva. […] En réalité, cette émission, qui se présentait d'abord comme une observation de la réalité des jeunes d'aujourd'hui et qui leur assignait un objectif privé (« former un couple »), avait un double intérêt pour les professionnels : d'une part, mettre en scène un casting de marathon, d'où émergeraient peut-être de futures vedettes réutilisables par l'une des sociétés du groupe. D'autre part, valoriser à peu de frais celui-ci aux yeux du téléspectateur. […] Le plateau de Loft Story a donc l'avantage pour le groupe, d'une part, de mieux faire connaître ses activités, d'autre part, de se donner une image favorable par une double opération de don — offrir un emploi — et de contre-don, profiter de la notoriété du lofteur, acquise à peu de frais. » (pp. 126-128) Ici, le producteur du Loft Story québécois, avait avoué sans ambages, dans Le Soleil du 20 Juin 2003 qu'il « souhait[ait] que Loft Story crée des stars qui trouveront ensuite des emplois dans les médias et fassent de la pub. »
31 - La Presse, 15 novembre 2001, p. C4 et Le Soleil, 15 novembre 2001, p. B2.
32 - La Voix de l'Est, La Tribune, Le Quotidien, Le Nouvelliste, Le Droit, Le Soleil et La Presse, samedi 12 juillet 2003, p. 3.
33 - La Voix de l'Est, samedi 12 juillet 2003, p. 46. Nous pouvions également lire dans La Presse du 25 septembre 2003, p. C2 : « S'il avait un conseil à donner à Guy Cloutier […] Édouard Boccon-Gibod lui suggérerait d'extrêmement bien choisir ses participants. […] Si le casting est mauvais, c'est l'échec. »
34 - La Voix de l'Est, La Tribune, Le Quotidien, Le Nouvelliste, Le Droit, Le Soleil et La Presse, samedi 12 juillet 2003, p. 3. Nous trouvions aussi dans Le Soleil du 20 juin 2003, p. B8 : « Guy Cloutier n'a pas l'air enchanté de voir TVA arriver cet automne avec Occupation Double, un concept fort semblable à Loft Story. » et dans Le Devoir du samedi 23 août 2003, p. E19 : « Pour lui compliquer la tâche (ou l'emmerder...), TVA a pondu à toute vitesse son propre concept, Occupation Double, où l'on suivra pendant dix semaines des célibataires. »
35 - L'Actualité, vol. 28, n° 17, 1er novembre 2003, p. 94.
36 - La Presse, dimanche 28 décembre 2003, p. X9.
37 - La Presse, samedi 27 décembre 2003, p. PLUS2.
38 - La Presse Canadienne, lundi 12 janvier 2004.
39 - Pour ceux qui en douteraient encore, je ne citerai que cet éloquent propos tenu par l'une des « personnalités » les plus représentatives de ce (« méga »-)récit, Julie Snyder, qui confiait sans détour au sujet de Star Académie, à Alain Gravel lors de l'émission Enjeux déjà citée : « Le dimanche, c'est peut-être les plus grands moments de gloire et la semaine c'est peut-être les moments d'intimité. » (je souligne)
40 - « Pour comprendre "à quoi sert" une notation indicielle, disait Barthes, il faut passer à un niveau supérieur (actions des personnages ou narration), car c'est seulement là que se dénoue l'indice » (p. 179). En d'autres termes, un indice (ou un informant) n'a aucune incidence sur la séquence des fonctions, mais prendra son sens au niveau des actions.
BIBLIOGRAPHIE
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