La dépression comme l'entend Ehrenberg est à considérer avec son envers, l'addiction [1], tout comme l'action pathologique doit être vue à « deux faces », inhibition et impulsivité étant les résultantes du même problème [2]. « L'individu souverain » (ou le sujet contemporain de la société de la performance, l'homme qui veut être son propre créateur) est donc pris avec une pathologie en forme de Janus [3], un quelque chose à l'intérieur qui est constamment réversible, et qui, d'un côté comme de l'autre, le mènera au même endroit, car si l'addiction et la dépression ou l'inhibition et l'impulsivité n'ont pas les mêmes caractéristiques et sont bien distinctes, elles renvoient le sujet dans les mêmes eaux, au cœur du même problème, soit son insuffisance à toujours performer, à être toujours plus productif. Non pas que ce sujet sera nécessairement atteint de dépression ou d'addiction, mais que tout cela le guette, que tout cela marque sa limite [4]. L'insuffisance est le (manque de) fond de l'individu souverain.

« Avers et envers » et « principe de réversibilité » sont donc nécessaires pour comprendre la dépression. De même, art vidéo et cinéma ne sont-ils pas l'avers et l'envers de la même chose, deux médiums qu'on voudrait bien opposer - un, « art contemporain» et l'autre, « art de masse » - mais qui, au fond, se renvoient constamment la balle? Nous élaborerons ici dans ce sens, en prenant une œuvre d'art vidéo, Three transitions de Peter Campus, pour éclairer un film, Videodrome de David Cronenberg. Il ne s'agit donc pas de mettre l'art vidéo contre le cinéma comme on l'a souvent fait, mais plutôt de les lier, de voir l'un à travers l'autre, de les considérer comme les deux faces de cet autre Janus qu'est, aujourd'hui, l'image audiovisuelle au sein d'un nouvel empire global. Nous proposons donc de voir à nouveau les problématiques de l'identité du sujet contemporain à l'heure du « tout est possible » et de voir comment elles s'articulent dans ces oeuvres au sein d'un discours entre la rupture de l'intersubjectivité, la réalité virtuelle et la biotechnologie postmoderne.

Tout est possible

En conclusion à son essai La fatigue d'être soi, Ehrenberg affirmait s'être inspiré « d'une intention qu'on trouve dans la science-fiction, et particulièrement chez David Cronenberg ». Selon lui, Cronenberg « plonge [avec sa caméra chirurgicale] dans la chair mutante d'un paysage mental vertigineux, celui de l'homme du tout est possible » [5]. En effet, à ce (manque de) fond du sujet contemporain que nous abordions précédemment se reflète un au-delà, l'illusion du « tout est possible », la possibilité illimitée de la performance. L'idéal de la performance, c'est le dépassement de soi, faisant rayonner l'identité de l'individu comme extensible et malléable à souhait. L'identité en vient à se confondre à l'image identitaire, à l'apparence. Elle devient comme un jeu : à la fois accessoire parce qu'elle peut se muter constamment (si tout est possible, moi peut toujours devenir autre) et ultime (le culte de l'apparence comme finalité). L'individu souverain se donne l'illusion de contrôler son identité, d'être au-delà d'elle, d'en être le créateur alors qu'il en est et en restera toujours le sujet, peu importe ce qu'il fait. En étant dans cette illusion, il porte son identité toujours plus à la surface, toujours plus « devant » lui, alors que la dépression vient rappeler le leurre de cette illusion, dévoile le (manque de) fond derrière [6]. Que ce soit dans l'apparence ou dans le dépassement, il ne devient que présence d'un « là-devant » où il fonce. Il croit au pouvoir de l'actualisation du virtuel. Il pense que ce « là-devant », ce « toujours plus loin » purement virtuel sera atteint… mais, bien sûr, si jamais il l'atteint, ce n'est bien que dans l'apparence des choses. Il lui manquera toujours le fond de la chose : la limite, l'humain, soi-même. Cronenberg explore ce problème tout au long de son œuvre [7], et Ehrenberg le souligne bien en affirmant que le cinéaste « a un théorème : ça mute en nous, mais on ne quitte jamais l'humain » [8].

Ce n'est peut-être pas un hasard si, alors que nous avons cherché à définir une esthétique de la dépression dans l'art vidéo et les arts médiatiques, l'inspiration d'Ehrenberg ait été portée vers un cinéaste qui a abordé la question identitaire à l'heure des mutations biotechnologiques par rapport à la vidéo dans une de ces œuvres phares, Videodrome. Cronenberg propose ici l'expérience d'un film subjectif, raconté « à la première personne » [9], où le personnage principal, Max Renn, apparaît dans toutes les scènes et où le spectateur n'a pas d'informations supplémentaires que celles déjà connues par le personnage [10]. À la manière d'un médecin ou d'un psychologue, le spectateur assiste au déroulement d'un cas ou d'une maladie [11], une maladie de la subjectivité. « Ça mute » beaucoup dans Videodrome, entre les hallucinations, la réalité virtuelle et le corps cybernétique, et grossièrement, la cause de ces mutations est cette fatidique bande vidéo qui semble avoir les caractéristiques typiques d'un enregistrement de performance: une image répétitive voire en boucle, minimale et sans histoire, qui ne cherche à montrer que le processus et la trace de ce qui a eu lieu - ici, une femme qui se fait fouetter par deux tortionnaires dans une chambre rouge. Ce qui se mute sous l'influence de Videodrome, c'est la subjectivité même de Renn, comme plusieurs œuvres que nous avons étudiées qui traitaient justement des problèmes de la mutation de la subjectivité au travers du médium de la vidéo.

Renn est quelqu'un qui au-delà (ou en deçà) de l'apparence, plus particulièrement de l'apparence des images vidéos, ne peut plus fonctionner. Le « tout est possible » pour lui est atteint très rapidement dans Videodrome. Au début du film, Max est montré comme dominant les images, comme l'individu souverain de l'audiovisuel : son réveille- matin est une présentatrice sur un téléviseur [12], il déjeune (à la pizza!) en feuilletant des photos érotiques avec un sourire en coin (ça ne le dérange pas), il se montre suffisant et distant devant un film que lui présentent deux pornographes japonais (ça ne l'excite pas), puis, alors qu'il est invité à une émission de variétés, il courtise Nicki Brand en ondes (il maîtrise aussi son image identitaire, son apparence). Mais, après avoir vu Videodrome, cette sorte de « snuff tv », ce directeur de télé aura tout vu. Il cherchait quelque chose de plus « hard » et « contemporary » et le trouve là! Il radicalise ce là à la manière d'un drogué [13], s'y accroche dans un plaisir évident de voyeur et regarde à satiété cette émission pour en épuiser sa vision; mais il n'ira jamais au-delà l'écran. À partir du moment où il se découvre lui-même par l'expérience du sadomasochisme avec Nicki, où il pourrait entrer dans quelque chose d'autre que la consommation d'images, il commence à halluciner, à perdre les pédales. Il veut retenir Nicki lorsqu'elle parle d'aller performer pour Videodrome, il refuse de voir celle qui désire devenir actrice de l'objet de son fantasme (en l'occurrence, Videodrome). On lui propose de réaliser lui-même une émission semblable à Videodrome et il reste muet, il n'ose pas passer à l'acte.
À l'instar de Campus qui tente de créer une image de lui-même, de se découvrir lui-même, Renn refuse de se connaître et préfère être au-delà (directeur de la programmation) ou devant/derrière (consommateur-voyeur) les images plutôt que dedans (créateur comme Campus). Mais dans les deux cas, les personnages veulent atteindre un certain possible. Pour atteindre ce possible, ils auront à passer quelque part, ils auront à traverser d'un autre côté d'une certaine façon, avant de tomber dans l'envers d'eux-mêmes [14].

Première transition : la fente, seuil du possible

Dans la première transition de Campus, l'artiste-sujet, grâce au trucage de la technologie vidéo, en arrive à « s'auto-engendrer », autrement dit à se créer lui-même par lui-même, à être son propre « engendreur », mais du même coup, paradoxe ultime, il « se retourne comme un doigt de gant » [15], s'invagine. Son surpassement est donc proportionnel à sa régression puisqu'en devenant son géniteur, il en arrive à être aussi son propre fœtus; à la fois il naît de lui-même et s'engloutit dans lui-même. C'est un étrange voyage à « deux faces » que nous fait faire Campus, dans un envers pour le moins « inverti »… On croit halluciner, et pourtant si, on voit bien que « c'est possible »! Parce qu'il s'agit bien de ça ici, de montrer le poids du possible d'un auto-engendrement. L'individu qui doit constamment se recréer, se fait renaître et s'engloutit toujours à la fois. Il croit dépasser une limite, passer de l'autre côté de la toile de lui-même, mais ne fait que se réinvestir à nouveau dans ce qu'il était, comme il était. Il a l'illusion de traverser la fente vers une apparence idéale, mais il ne fait que retourner en lui-même, laissant une plaie sur la toile - la marque indélébile de son passage en envers.

Renn aussi se confronte à la fente pour passer en envers. Il engloutit la tête dans l'écran d'un téléviseur devenu une machine sensuelle - écran qui montre une bouche de femme qui le somme de venir à elle - pour simuler d'étranges préliminaires avec cette surface molle transformée en attribut sexuel [16]. Un peu plus loin, toujours assis devant son téléviseur, Renn remarque que son ventre s'ouvre en une sorte de plaie en forme vaginale et y introduit un pistolet. Après un premier contact avec la fente fantasmatique de l'écran (la bouche de la femme), Renn devient marqué de l'intérieur, blessé au ventre, et commence à muter. Il acquiert ainsi la possibilité d'auto-engendrer de la chair, transformant le pistolet en pistolet de chair. À mesure qu'il perd le fil entre ses hallucinations et la réalité, il obtient cette faculté de se surpasser par la chair, de tendre de plus en plus à cet idéal de la chair nouvelle. Mais la fente/plaie de son ventre est aussi celle par laquelle Convex introduit les cassettes vidéo pour le programmer. En même temps qu'il est au seuil du possible près d'un plus que possible au-delà de lui-même (pistolet et utérus, destructeur et générateur de vie), il a perdu le contrôle absolu de sa personne (en deçà de lui-même - manipulable et programmable à souhait, sans personnalité).

Renn et Campus sont confrontés à la même question : est-ce possible (qu'une telle image existe, que mon corps puisse faire cela)? Et dans les deux cas, les sujets se rendent compte que oui, c'est possible. Rien ne semble impossible ni à Renn (Videodrome, nous l'avons dit, est la preuve pour lui que tout est possible) ni à Campus (grâce à la vidéo, il peut bien s'auto-engendrer s'il veut), mais le problème est que la traversée laisse des marques et qu'au bout les guette l'action pathologique.

Seconde transition : la transparence, lieu du visible

Les deux faces de l'acte pathologique, inhibition et impulsion, sont distinctes l'une de l'autre mais devant l'insuffisance, elles sont indiscernables. Il y a un point où de l'avers à l'envers, on revient toujours au même : l'insuffisance, le (manque de) fond. Renn passe en envers de la dépression en devenant dépendant de Videodrome, mais le constat avec lui-même est le même que pour le sujet dépressif : entre ses hallucinations et la réalité, il vit une rupture d'intersubjectivité. L'avers et l'envers, les deux faces, la réversibilité, on est près de l'image-cristal deleuzienne :

« L'image-cristal, ou la description cristalline, a bien deux faces qui ne se confondent pas. C'est que la confusion du réel et de l'imaginaire est une simple erreur de fait, et n'affecte pas leur discernabilité : la confusion se fait seulement « dans la tête » de quelqu'un. Tandis que l'indiscernabilité constitue une illusion objective; elle ne supprime pas la distinction des deux faces, mais la rend inassignable, chaque face prenant le rôle de l'autre dans une relation qu'il faut qualifier de présupposition réciproque ou de réversibilité. En effet, il n'y a pas de virtuel qui ne devienne actuel par rapport à l'actuel, celui-ci devenant virtuel sous ce même rapport : c'est un envers et un endroit parfaitement réversibles. » [17]

Cette illusion du tout est possible que nous abordions précédemment, ce « là-devant » de l'apparence à atteindre, est une virtualité qui absorbe l'individu souverain. Vers le milieu de Videodrome, Renn se fait poser sur la tête un casque spécial permettant d'enregistrer ses hallucinations. L'image qu'il voit d'abord défiler devant ses yeux est semblable à une image vidéo, opaque et fortement pixelisée. Puis, l'image redevient « claire », transparente. Renn tombe dans une hallucination pure, une réalité virtuelle. C'est une aberration en soi parce que Renn hallucine depuis le début du film, il n'y a donc pas d'hallucination plus ou moins pure qu'une autre, une réalité tout à coup plus virtuelle que la précédente [18]. Mais le fait est là, on voit le fondu opaque-transparent et on est obligé de comprendre qu'il y a un passage entre l'actuel (opaque) et le virtuel (translucide). Le processus est irréversible : Renn est absorbé par ses hallucinations (virtuelles) et ses hallucinations définissent toujours sa nouvelle réalité (actuelle). Une fois qu'il est passé de l'autre côté, dans ses hallucinations, il ne peut plus revenir en arrière. Même s'il revenait à une réalité non hallucinée, elle lui apparaîtrait nécessairement différente de ce qu'elle était avant. «L'image virtuelle absorbe toute l'actualité du personnage, en même temps que le personnage actuel n'est plus qu'une virtualité » [19] disait Deleuze. Dans son passage en envers, Renn, après être passé du seuil du possible, arrive à un nouveau lieu, celui du virtuel et de la transparence.

Campus, après un premier échec, tente un nouveau passage en effaçant du doigt le reflet de son visage, et en tentant de coller sa silhouette à une autre image de lui, derrière la première image. On découvre ici la même problématique actuel/virtuel où en effaçant/creusant son image actuelle, Campus découvre son image virtuelle qui est similaire à son image actuelle. À la fois cette nouvelle image (virtuelle) se calque presque à la précédente (actuelle) et l'entraîne à fondre les deux images en une, à la fois elle glisse à être ce qu'elle était et donne à la précédente (actuelle) l'attribut d'un faux, d'un « tout-aussi-virtuel » que l'autre.

La frontière actuel/virtuel est dans les deux cas liée au translucide, au transparent (image-cristal). Le virtuel est le lieu idéal de la transparence, le lieu où l'individu souverain se réaliserait totalement dans l'apparence. Cette transparence, c'est aussi le lieu de la rupture de l'intersubjectivité, comme le souligne Fédida:

« L'exemple qui peut le mieux illustrer cet échec de la communication intersubjective peut être trouvé - ainsi que je l'ai rappelé - dans le Huis clos de Sartre, où chacun a cette sensation insupportable d'être constamment pénétré par la pensée de l'autre (rupture des apprésentations), comme s'il lui était transparent : dans le huis clos, cette transparence fait qu'il est impossible de constituer une image de soi qui puisse être une image pour soi. Les miroirs ont disparu de la pièce et aucune pensée, aucun mot et même pas le silence ne permettent d'échapper à cette violence de l'intrusion de la présence de l'autre. Chacun présente sa propre représentation de soi et de l'autre. » [20]

Dans le Huis clos de Sartre, la pénétration de la pensée est liée à la transparence devant le regard de l'autre et à l'absence du miroir. Dans Videodrome, où il est indirectement question de réalité virtuelle [21], la problématique ressemble à un huis clos, mais un huis clos sur soi-même : Renn ne se retrouve pas enfermé avec les autres (dans l'enfer des autres) mais s'invagine en lui-même, dans ses hallucinations (dans l'envers de lui-même). Les conclusions sur la rupture de l'intersubjectivité restent similaires. Dans un univers virtuel idéal où chacun vivrait dans son apparence (l'image virtuelle de lui-même plutôt que sa psyché, bien sûr) ou dans ses fantasmes (réalisés plutôt qu'encore hallucinés), l'être devient transparent. L'individu souverain, rappelons-le, croit au pouvoir de l'actualisation du virtuel. Il croit pouvoir atteindre un jour non pas l'au-delà de l'écran mais bien la surface même de l'écran. Le visible (apparence) est plus important pour lui que l'invisible, l'opaque (intérieur, caché [22]). Pour Renn, le tout est possible s'associe surtout à un « tout est visible » : ce qu'il cherche, c'est diffuser de tout à la télévision, de faire voir tout. S'il avait trouvé le lieu pour actualiser ses fantasmes d'un côté (il a pu tout voir avec l'émission Videodrome), il devient un être transparent de l'autre (on peut enregistrer ses hallucinations donc pénétrer sa pensée). S'agirait-il d'un nouveau théorème bien cronenbergien : « une société de la transparence est une société de contrôle » [23]?

Dans le lieu du tout est visible, dans une société de la transparence, l'intime se perd, s'ouvre aux autres; le fond de soi se dégrade en viol, viol par la pensée de l'autre, mais aussi viol de soi par soi. Renn est pénétré dans la pensée et dans le corps. Après que ses hallucinations aient été enregistrées, on lui introduit des vidéocassettes dans le ventre, ce ventre fortement sexué, comme si on le violait. Mais bien avant d'être pénétré et violé par les mains des autres, Renn se pénètre lui-même, en s'introduisant un pistolet dans le ventre. Plutôt que de l'autoérotisme, il s'agirait ici d'un « autoviol » [24]. Retournons à Fédida :

« Autoérotisme signifie ainsi la capacité du fantasme de former et de transformer le « lieu » du plaisir qui, comme le dit Aristote, est de s'engendrer de lui-même par son propre mouvement. En ce sens, ce qu'on appelle « psychique » n'est autre que le fantasme dans sa nature d'autoérotisme hallucinatoire. Toute la notion de dépressivité comme échange, et formation par cet échange, se retrouve ici dans cette signification économique de l'hallucinatoire. On pourrait ajouter que l'autoérotisme du fantasme est la seule forme dans laquelle on peut penser la dépressivité. » [25]

Pour Fédida, psychique et autoérotisme hallucinatoire sont liés, comme dépressivité, échange et créativité. Mais, paradoxalement, alors qu'elle propose l'actualisation du fantasme dans la réalité virtuelle, la société de la transparence se refuse à l'autoérotisme et à la dépressivité - du moins chez Cronenberg. Ce qui, au début du film, apparaissait comme les fantasmes de Renn (Videodrome), un lieu idéal pour engendrer du plaisir de lui-même, est surtout cause de maladie (tumeur au cerveau qui cause les hallucinations, ou vice versa selon le Professeur O'blivion). Le propriétaire de Videodrome, Convex, ne regarde jamais Videodrome (sinon il aurait lui aussi une tumeur) : c'est avant tout un complot qui vise à contrôler, et il garde bonne distance avec l'émission. Mais bien plus, là où tout à coup quelque chose s'ouvre vers le « fond » de Renn, en l'occurrence son ventre, on assiste à un mouvement de panique et de souffrances internes du personnage beaucoup plus que de dialogues et de lieu de fantasme. Ce qui amène le spectateur à voir Renn se brutaliser, à refouler la pulsion (le pistolet) au plus profond de soi. Renn rejette la dépressivité, tout comme il a peur de son (manque de) fond. Au niveau du diagnostic, c'est LA cause de son passage en envers dans l'addiction et dans l'impulsion.

Sur la transparence et l'interpénétration des pensées, Fédida apportait aussi le problème de l'absence de miroir. Il est vrai, dans Videodrome, il n'y a pas de miroir, tout comme il y a très peu d'extérieur. Pourtant, le miroir est la transparence même d'une apparence pure et virtuelle, sans psyché. Renn, bien qu'il ne puisse jamais se confronter à son image, ne cherche pas à se voir non plus. Certes, la présence, l'intrusion et la pénétration de l'autre lui causent problème. Seulement, à la base, c'est sa seule présence et ses propres hallucinations sur lesquelles il n'a pas de contrôle qui entraînent le reste du problème. Selon nous, ce serait peut-être encore plus inquiétant pour Renn s'il arrivait à se voir, tout comme un miroir dans le Huis clos de Sartre ne résoudrait pas pour autant le problème de l'image de soi pour soi, au contraire [26] : l'image de soi dans le miroir, on le sait tous, ne suffit jamais à nous renvoyer toute notre image. Il n'y a pas plus d'image de soi qui s'y forme puisqu'on demeure toujours incomplet devant un miroir.

Selon nous, la transparence, cette impossibilité de soi à créer une image pour soi, est beaucoup plus notable non pas lorsque les miroirs ont disparu devant les autres, mais bien lorsqu'il ne reste plus que soi et le miroir [27]. On est incomplet devant un miroir, mais bien pire, on ne sait pas plus qui l'on est en s'y regardant. Nos yeux et notre sensation seront toujours limités pour que nous nous y donnions une image « ontologique » de soi. C'est ce que Campus démontre : en se questionnant sur comment dépasser un regard narcissique sur soi, comment se donner à soi-même une image « profonde » de soi, Campus finit par brûler sa propre image. Juste avant, il tente de voir ce qu'il y a derrière son reflet en effaçant une première image, et tombe à nouveau sur une image de lui, comme s'il lui était impossible de sortir de ce « là-devant » de l'apparence, parce que la transparence du miroir tout comme l'apparence sont infranchissables [28]. Ce que découvre le spectateur finalement avec Three Transitions, c'est surtout un dispositif subjectif aberrant, un dispositif qui dévoile l'échec de la subjectivité.

En perdant son intersubjectivité, Renn perd son opacité devant le monde et devient un être de pure transparence, mais en envers, en cherchant à dévoiler où se cache le vrai soi, le fond de lui-même, Campus se retrouve encore une fois comme être d'apparence, tout aussi transparent que son compagnon. Les deux prennent des chemins opposés et se retrouvent dans le même lieu, la transparence, le visible.

Troisième transition : l'exécution, sortie du lisible

« Yeah… video-arena, video-circus… » répond Renn lorsqu'on lui demande la définition de Videodrome. Cette arène, ce cirque de la vidéo, du monde contemporain, Cronenberg l'avait bien prédit, c'est le corps - inutile de revenir sur ce point. Dans la société du tout est possible où tout est visible, le corps, c'est où s'affirme l'apparence et où, idéalement, s'afficherait toute l'identité. À l'heure des mutations biotechnologiques postmodernes, la conception de notre corps est le lieu de la subjectivité personnelle et sociale, en bref, de l'idéologie. Par exemple, le refus de la dépressivité, voire de l'autoérotisme, de la société de la transparence est réinvesti dans le discours sur les anti-dépresseurs : non dans ses objectifs (guérir) mais dans son concept, l'anti-dépresseur vise à contrer dans le corps (chimiquement) plutôt que dans la psyché (par la psychothérapie) la dépression… en bref, à l'annuler plutôt qu'à la comprendre.

Après la transparence de la réalité virtuelle, Videodrome met en scène la perméabilité du corps cybernétique postmoderne, celui du cyborg, « a hybrid of machine and organism, a creature of social reality as well as a creature of fiction » [29]. Cette nouvelle identité cybernétique et mutante aura pour Renn des conséquences que nous avons déjà analysées (être suprême et perte de personnalité). Ce que l'on doit noter, c'est que si les pensées de Renn étaient transparentes dans le visible, son corps devient perméable dans le lisible. Avec la cybernétique et la biotechnologie, « bodies are not born; they are made. Bodies have been as thoroughly denaturalized as sign, context and time. » [30] Le corps devenu signe dont parle Donna J. Haraway est un corps d'une société où domine le code, une société fortement militarisée et dépendante de l'informatique. En bref, dans cette société :

« Any objects or persons can be reasonably thought of in terms of dissassembly and reassembly; no 'natural' architectures constrain system design. Design is none the less highly constrained. What counts as a 'unit', a one, is highly problematic, not a permanent given. Individuality is a strategic defence problem. » [31]

Renn est bien cet être qu'on désassemble et réassemble à notre guise et qui développe des moyens d'autodéfense « stratégique » pour le moins surprenant, soit un pistolet de chair. En amalgamant la chair de sa main à un fusil, Renn devient cyborg, et cela ne veut pas simplement dire qu'il est un hybride de chair et de métal mais qu'il est devenu une interface lisible, une surface où apparaissent des codes : la pulsion qu'il avait refoulée, cette dépressivité qu'il avait rejetée, ressort d'une façon lisible, en un « pistolet de chair » [32], et non en un « pistolet en chair » [33], parce que le pistolet et la chair s'intercalent ensemble au corps, comme dans un texte où l'on ne distingue jamais le fond (l'écriture) de la surface (le papier). D'où l'idée que dans la société postmoderne de la biotechnologie, les frontières sont rendues perméables, et la convergence entre la machine, le corps, le texte, la technique et les fantasmes domine sur leurs limites réciproques. Haraway explique que:

« In particular, there is no ground for ontologically opposing the mythical to the organic, textual, and technical. Their convergences are more important than their residual oppositions. The privileged pathology affecting all kinds of components in this universe is stress - communications breakdown. In the body stress is theorized to operate by 'depressing' the immune system. Bodies have become cyborgs - cybernetic organisms - compounds of hybrid techno-organic embodiment and textuality […] The cyborg is text, machine, body, and metaphor - all theorized and engaged in practice in terms of communications . » [34]

Après le tout est possible et le tout est visible apparaît finalement le tout est lisible, où tout est devenu matière à codes et à interfaces, et où l'être même, le cyborg, a atteint cet idéal de la surface, d'une apparence malléable et extensible où tout se joue. L'image est plus qu'une simple image, un reflet ou une illustration, elle est une référence. Elle s'est mutée avec son référent et n'offre pas d'alternative : elle dirige, domine, donne la voie à suivre. L'image n'a plus de fond et n'est pas non plus sans fond, infinie : elle est « là-devant » comme un signal perpétuel. Renn n'a pas le choix du moment où il a vu Videodrome : il est sommé à devenir cyborg. Dans le lieu du visible, il pouvait encore passer d'un avers à un envers (actuel et virtuel), mais arrivé au lisible, il ne lui reste que l'entrée ou la sortie (« input » et « output »). Après deux tentatives à passer en envers, à trouver une image qui colle à son autoportrait ou un soi qui soit plus que ce satané reflet, Campus décroche et brûle le cadre de l'autoportrait. Il se refuse à laisser une image qui ne serait qu'un signe pur.
Il y a une dernière résonance [35] entre la troisième transition de Campus et la scène finale de Videodrome : d'un côté, Campus brûle son image, son reflet vidéographique, devant nos/ses yeux; de l'autre, Max Renn regarde sur un téléviseur la scène de son suicide derrière les flammes à l'aide de son pistolet de chair au nom de la chair nouvelle, avant d'exécuter exactement cette scène, ce plan tel qu'il l'a vu sur le téléviseur. Les deux scènes présentent l'exécution (de son image ou de soi), la visualisation de cette exécution dans l'image vidéo et la flamme comme consubstantielles. Dans les deux cas, l'exécution se fait pour atteindre à une substance supérieure (le vrai soi, la chair nouvelle). Leur ultime passage en envers est à tous deux une sortie. Après être passés sur le seuil du possible, entrés dans le lieu du visible, les deux sortent du lisible. En bref, ils refusent la surface et demandent le droit à l'insuffisance.

Conclusion
De nos jours, l'image se consomme (littéralement chez Cronenberg) comme une drogue, et ça nous consume peut-être quelque part (comme se consume le reflet de Campus). Les deux œuvres tournent autour d'un même problème, une sorte de pathologie de l'image qui répondrait à la question : peut-on se muter dans (ou avec) une image? En avers de ce problème, de cette pathologie, il y a le narcissisme (Campus), et en envers, le voyeurisme (Cronenberg) [36]. Car si le premier « corporéise le narcissisme » [37] ou la difficulté d'arracher Narcisse à son image, de trouer/effacer/brûler cet autre soi de surface pour dévoiler enfin le vrai soi, le soi de fond, le second idéalise le voyeurisme ou le porte à son aboutissement idéal, où celui qui refuse de se regarder et d'aller au-delà de l'image, qui aspire à la surface de l'image, à l'apparence pure et au « devant lui », se perd lorsqu'il se trouve lui-même (tout comme Narcisse) et en arrive à perdre la notion de fond, à rester pris dans l'apparence, à ne plus différencier l'idée du corps, le fantasme de la réalité.
Les deux personnages finissent par chercher une réponse dans la transition ultime, vers le vrai soi derrière cette image en miroir pour Campus, et vers l'au-delà de la chair nouvelle pour Max Renn. Une réponse qui n'en est pas une, sans fond, qui ne suffira jamais.

Guillaume Campeau-Dupras
Montréal - décembre 2002

 

1 - « La dépression et l'addiction sont comme l'avers et l'envers de l'individu souverain, de l'homme qui croit être l'auteur de sa propre vie… », in Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi : dépression et société, Paris, Éditions Odile Jacob, 1998, p.249

2 - Cf. « Inhibition et impulsivité : les deux faces de l'action pathologique », id., p.185-187.

3 - « L'homme déficitaire et l'homme compulsif sont les deux faces de ce Janus. », id., p. 251.

4 - « La dépression est le garde-fou de l'homme sans guide, et pas seulement sa misère, elle est la contrepartie du déploiement de son énergie », id., p.250.

5 - Id., p. 248.

6 - « En retour, ce qu'on nomme vie psychique, ne serait-ce pas précisément cette apparence humaine essentielle à laquelle se reconnaît l'humanité de tous les jours et qui assure au vivant inanimé une subjectivité? L'état déprimé révélerait en creux cette vie psychique, dès lors qu'elle vient à manquer. », Pierre Fédida, Des bienfaits de la dépression : éloge de la psychothérapie, Paris, Éditions Odile Jacob, 2001, p. 8.

7 - De Shivers à eXistenZ, en passant par Rabid, Scanners, The Brood, The Dead Zone, The Fly, Dead Ringers, Naked Lunch, M.Butterfly et Crash, Cronenberg présente toujours des sujets qui veulent aller au-devant d'eux-mêmes, se dépasser ou qui ont des facultés extraordinaires au-delà d'eux-mêmes et finissent presque tous par se suicider de façon plus ou moins explicite - à l'exception de eXistenZ, où on ne sort pas du jeu, et de Scanners, où deux êtres se fondent en un nouvel être, corps de un et esprit de l'autre.

8 - Ehrenberg, op. cité, p.248.

9 - « Cronenberg has said that Videodrome is a 'first-person film', and this idea is the key to the film. The protagonist, Max Renn, is present in every scene of the movie, and again to quote Cronenberg, 'We get no information that Max doesn't get himself'. » in, William Beard, The artist as monster : the cinema of David Cronenberg, Toronto, The University of Toronto Press, 2001, p.121.

10 - Voici un résumé du film : Renn, directeur d'une chaîne télévisuelle, la Civic TV (Channel 83) qui diffuse de tout « from soft core pornography to hard core violence », cherche une émission plus « hard » et « contemporary » à diffuser. Il découvre illicitement par piratage satellite Videodrome, une émission qui ne consiste en rien d'autre que de la torture et des meurtres. Il s'aperçoit rapidement que le signal de Videodrome produit des hallucinations chez le sujet qui le regarde. Ces hallucinations transformeront profondément la nature et le parcours de Max au point où il sera finalement complètement coupé de lui-même, sans pouvoir distinguer la réalité de ses hallucinations (tout comme le spectateur ne distingue pas le vrai du faux) et sombrant dans l'impulsivité pure, perdant totalement le contrôle de sa personne. À mesure que le processus progresse, les diverses influences des hallucinations s'intensifient en un tout complexe, marqué par des mutations de son ventre qui s'ouvre en une plaie de forme vaginale. Ces influences incluent entre autres : Nicki Brand, une star de la radio qui l'introduira aux plaisirs et aux maux du sadomasochisme alors qu'ils regardent ensemble Videodrome; les discours du Professor Brian O'blivion - un pastiche avoué du célèbre théoricien des médias Marshall McLuhan -, une sorte de prophète des médias prêchant que la télévision a usurpé la réalité et qui est en fait la première victime de la tumeur cancéreuse causée par Videodrome; la multinationale de l'optique Spectacular Optical, dont le directeur, Barry Convex, est aussi propriétaire actuel de Videodrome; Convex a en fait ourdi avec Videodrome un complot à l'échelle internationale dont Renn est un sujet test désigné d'avance; Convex se sert de Renn à ses fins en le programmant pour assassiner ses collègues de la Civic TV; Bianca O'blivion, la fille de Brian O'blivion, qui est en charge de l'organisme de charité de son père, la Cathode Ray Mission, déprogramme Renn après son assassinat et le reprogramme ensuite contre Videodrome au nom de la « chair nouvelle » (« Death to Videodrome; long live the New Flesh! »). Après quatre assassinats (deux à la Civic TV et deux à la Spectacular Optical, dont Barry Convex), Renn se retrouve seul sur un bateau abandonné, devant un téléviseur où apparaît Nicki qui le somme de se tuer s'il veut en terminer avec Videodrome et atteindre la chair nouvelle (« to enter the New Flesh, you have to kill the Old Flesh »). Ce que Renn fait en lançant le slogan « Long live the New Flesh! ». Les méandres narratifs de Videodrome sont pour le moins complexes, et merci à William Beard pour le clair résumé du film qu'il a produit dans op. cité, p. 121-122, dont le présent résumé s'est en (très) grande partie inspiré.

11 - « Cette approche [propre à Cronenberg] se distingue fondamentalement des films d'épouvante, d'horreur et de science-fiction, dans la mesure où sa forme narrative est moins celle d'une fable que d'un constat médical qui enregistre, parfois sur un mode documentaire-réaliste, les progrès d'une maladie », Serge Grünberg, David Cronenberg, Paris, Éditions de l'Étoile/Cahiers du cinéma, 1992, p.27-28.

12 - Il s'agit de la toute première image du film, une présentatrice sur un écran de télé qui dit : « No, I'm not a dream ».

13 - « Le drogué est l'homme dont il est possible de penser qu'il franchit la frontière entre le tout est possible et le tout est permis. Il radicalise la figure de l'individu souverain. », Ehrenberg, op. cité, p.237.

14 - Nous reprenons une expression de Ehrenberg sur Dead Ringers de Cronenberg, qu'il décrivait comme un « voyage au bout de l'envers », op. cité, p.248.

15 - Philippe Dubois décrivait Three Transitions comme une œuvre « aux images spectaculaires » où l'on peut « voir Campus littéralement se retourner comme un doigt de gant, s'auto-engendrer d'une fente installée dans la matérialité même de son corps », in « L'ombre, le miroir, l'index - à l'origine de la peinture : la photo, la vidéo », in Parachute, no 26, printemps 1982, p.27.

16 - Notons qu'il ne dépasse jamais la limite de l'écran, entretenant un rapport de pure surface avec la machine - sur le téléviseur mais non dans le téléviseur -, ce qui confirme que c'est l'apparence, la surface qui l'attire, et non le fond, l'intérieur de l'émission/de ses fantasmes/de lui-même.

17 - Gilles Deleuze, L'image-temps, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p.94.

18 - Cronenberg est conscient de ce fait et en jouera tout de suite après, en faisant apparaître et disparaître un cadavre dans le lit de Renn à son réveil - quand a-t-il rêvé? On ne peut le discerner vraiment mais on sait que ça a eu lieu, donc qu'il y a deux réalités/virtualités distinctes.

19 - Gilles Deleuze, « Extrait du dernier texte écrit par Gilles Deleuze », Cahiers du cinéma, no 497, décembre 1995, p.28. Deleuze utilisait ici comme exemple la célèbre scène finale de La dame de Shangaï d'Orson Welles.

20 - Fédida, op. cité, p.218. Souligné dans le texte.

21 - Le casque à enregistrer les hallucinations ressemble beaucoup aux simulateurs de réalité virtuelle.

22 - Rappelons-le, Fédida liait l'apparence à la vie psychique qui, dans l'état déprimé, « se révélerait en creux […] dès lors qu'elle vient à faire défaut » (p. 8, déjà cité dans ce texte). Comme nous le verrons, nous traitons ici d'un sujet où la dépressivité fait défaut, donc qui considère l'apparence sans son aspect psychique.

23 - La multinationale Spectacular Optical ironise bien cette idée : à la fois propriétaire de Videodrome, spectacle obscène visant à contrôler les sujets qui le regardent, fabricante du casque à enregistrer les hallucinations, mais aussi productrice de lunettes et de missiles; la transparence (lunettes, casque enregistreur d'hallucinations) est donc liée au contrôle (missiles, Videodrome).

24 - « Quand se forme ce vagin ouvert à l'intérieur duquel Max enfonce un pistolet phallique dans un acte sexuel d'autoassouvissement (peut-être qu' « autoviol » serait un terme plus juste), les catégories sexuelles s'inversent et les désirs intérieurs conflictuels s'extériorisent et deviennent indépendants. », William Beard, « L'esprit viscéral : les films majeurs de David Cronenberg », in Piers Handling et Pierre Véronneau (dir.), L'horreur intérieure : les films de David Cronenberg, Paris/Montréal, Les Éditions du Cerf/La Cinémathèque Québécoise, 1990, p.128. C'est nous qui soulignons.

25 - Fédida, op. cité, p. 53.

26 - Voir une mise en scène de la pièce dans une pièce tout en miroir ne serait-il pas justement le paroxysme du huis clos : enfermé à l'infini dans un paysage infini de reflets qui ne répètent que ce qui est là-devant.

27 - Il ne s'agit pas de discréditer ce qu'avait affirmé Fédida mais d'aller voir en envers du propos.

28 - Autrement dit, avant de voir le problème de l'échec de la communication intersubjective avec l'autre, il faut le considérer par rapport à soi - surtout si dans la communication à l'autre, la difficulté est que l'on arrive plus à se donner une image de soi. L'intersubjectivité, ce n'est pas que communiquer ou non avec l'autre, c'est ce qui se passe « entre », le lien d'une subjectivité à l'autre. Campus remonte en amont du problème : avant l'échec de la communication intersubjective, il y a l'échec de la subjectivité.

29 - Donna J. Haraway, Simians, Cyborgs and Women: the reinvention of nature, New York, Routledge, 1991, p.149.

30 - Id., p.208.

31 - Id., p. 212. Dans une perspective féministe, Haraway défend le cyborg, et il pourrait être intéressant d'analyser Videodrome en ce sens compte tenu de l'importance que prennent les figures féminines dans le film (Renn qui courtise grossièrement les femmes, le spectacle de la femme que l'on torture qui fascine Renn, la télévision qui prend des attributs sexuels féminins pour Renn, mais aussi les personnages de Nicki et de Bianca qui dirigent Renn et le mènent un peu à son suicide).

32 - Une scène assez horrible du film montre les tendons de la main de Renn qui sortent en tuyaux spéciaux qui vont se mélanger au fusil qu'il tient, rendant sa main et le fusil lié.

33 - « Fleshgun » en anglais. Soit : non « gun in flesh » séparés, mais bien « flesh »/ « gun » côte à côte, au même niveau.

34 - Haraway, op. cité, p. 212.

35 - Ou peut-être « coïncidence fatale » pour reprendre le titre d'une récente exposition bien connue sur le cinéaste Alfred Hitchcock. Seulement, est-ce si fatal de découvrir les similitudes formelles entre deux artistes qui traitent déjà de sujets voisins (le soi vu par la vidéo VS l'influence de la vidéo sur soi)? Notre objectif n'est pas de créditer un cinéaste auprès d'un vidéaste (l'exposition sur Hitchcock voulait créditer le cinéaste, à la réputation déjà bien établie, « comme » un artiste) mais bien de se questionner, à savoir pourquoi deux œuvres en arrivent à des conclusions formelles et thématiques similaires et qu'est-ce que ces conclusions nous apprennent sur le sujet en question.

36 - N'oublions pas que si quelqu'un regarde, c'est que quelqu'un s'exhibe, et qu'un narcissique a bien dû se regarder attentivement - le voyeur regarde Narcisse, et Narcisse est aussi un voyeur.

37 - « Et c'est cette corporéisation du narcissisme qui donne toute sa puissance pulsionnelle à la métamorphose électronique », Dubois, op. cité, p.27.

 

BIBLIOGRAPHIE


Monographies, extraits de monographies


Beard, William, The artist as monster : the cinema of David Cronenberg, Toronto, The University of Toronto Press, 2001.


Deleuze, Gilles, L'image-temps, Paris, Éditions de Minuit, 1985.


Dyens, Olivier, Chair et métal, Montréal, Vlb éditeur, 2000.


Ehrenberg, Alain, La fatigue d'être soi : dépression et société, Paris, Éditions Odile Jacob, 1998, p.9-20 et 177-251.


Fédida, Pierre, Des bienfaits de la dépression : éloge de la psychothérapie, Paris, Éditions Odile Jacob, 2001, p.7-16, 35-46 et 201-224.


Grünberg, Serge, David Cronenberg, Paris, Éditions de l'Étoile/Cahiers du cinéma, 1992.


Grünberg, Serge, Entretiens avec David Cronenberg, Paris, Cahiers du cinéma, 2000.


Handling, Piers et Véronneau, Pierre (dir.), L'horreur intérieure : les films de David Cronenberg, Paris/Montréal, Les Éditions du Cerf/La Cinémathèque Québécoise, 1990.


Haraway, Donna J., « A cyborg manifesto: science, technology, and socialist-feminism in the late twentieth century » et « The biopolitics of postmodern bodies: constitutions of self in immune system discourse » in Simians, Cyborgs and Women: the reinvention of nature, New York, Routledge, 1991, p. 148-181 et 203-230.


Manovich, Lev, The language of New Media, Cambridge, Mass., The MIT Press, 2001, p.21-61, 89-115, 142-160 et 314-322.


Ross, Christine, Images de surface: l'art vidéo reconsidéré, Montréal, Éditions Artextes, 1996.


Articles, revues, extraits d'anthologies


Bellour, Raymond, « L'autoportrait », in Anne-Marie Duguet et Raymond bellour, dir., Vidéo, Communications (48), Paris, Éditions du Seuil, 1988, p.327-387.


Deleuze, Gilles, « Extrait du dernier texte écrit par Gilles Deleuze », Cahiers du cinéma, no 497, décembre 1995, p.28.


Dubois, Philippe, « L'ombre, le miroir, l'index - à l'origine de la peinture : la photo, la vidéo », in Parachute, no 26, printemps 1982, p.15-28.


Fargier, Jean-Paul (dir.), « Où va la vidéo? », Cahiers du cinéma (Hors-Série), Paris, Éditions de l'Étoile, 1986é


Garsault, Alain, « David Cronenberg : Corps : substance solide et palpable », in Goudet, Stéphane (dir.), L'amour du cinéma : 50 ans de la revue Positif, Paris, Gallimard, 2002, p.439-446.


Krauss, Rosalind, « Video: The Aesthetics of Narcissism », in Gregory Battcock, dir., New Artists' Video: A Critical Anthology, New York, Dutton, 1978, p.43-64.


McLuhan, Marshall, « The medium is the message » in Understanding media: the extensions of man, New York, McGraw - Hill paperback, 1964, p.7-21.