Alors que le cinéaste présente la scène du meurtre et la majorité de la scène le suivant - celle qui nous intéresse ici - en monstration externe (Gardies, p.142) avec une forte restriction de l'information (le spectateur n'est pas en position pour savoir ce que le personnage sait [1]), le point de vue adopté est brisé le temps d'un plan qui serait lui en monstration interne. Très important, ce plan subjectif est utilisé afin de placer le spectateur-joueur dans la même position que le personnage joué par Hemmings - et comme ce dernier est déjoué par la stratégie de l'assassin se fondant aux tableaux, le spectateur-joueur est déjoué par la stratégie de mise en image et de distribution d'informations de l'auteur. Ce plan est certainement le plus important du film puisque, à environ 10 minutes du début de celui-ci, il en annonce le punch (contredisant l'idée de Carroll - qui s'applique néanmoins à la très grande majorité des films - concernant l'absence de lien causal entre les scènes de résolution et les scènes les précédant). "Postuler le caractère fondamentalement ludique du fait filmique et de la participation spectatorielle, c'est, dans le même temps, supposer un fonctionnement narratif placé sous le signe du déploiement stratégique" [2]. Or, comme nous l'avons vu, la stratégie d'Argento ne se limite pas à une filtration de l'information - par contre, il tentera autrement de manipuler le savoir diégétique du spectateur et d'en conserver le contrôle.
1- Aucun plan ne nous donne le point du vue de la victime, le visage de l'assassin demeurant hors champ. Cette restriction de l'information ne perturbe pas le spectateur, retrouvant là la codification du film de suspense (ou, à plus forte raison et si on tient compte des fameux gants noirs, du giallo). Par contre, une restriction de l'information trop sévère, ou trop apparente, pourrait avoir un effet déstabilisant - voire distanciatoire - sur le spectateur (dénotant une certaine facilité dans la distribution des cartes). Ce sera le cas par exemple lors d'une scène subséquente où un personnage découvre qu'une des victimes a écrit le nom de l'assassin sur le miroir embué et où le spectateur-joueur ne peut lire que estat (c'était...) sur l'image qu'on lui présente. 2
- Gardies, ,André.
" Le pouvoir ludique de la narration " dans Protée
(le point de vue fait signe). Vol 16, #1-2. Hiver-printemps 1988. p.139 |