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Leffort consiste non pas tant à témoigner dun peu douverture eu égard aux fausses certitudes. Cest la légitimité des questions quil faut cerner, comprendre, ébranler. Cest alors seulement quon peut envisager létape suivante, qui consiste à saisir, dans la masse protéiforme que constitue le cinéma des premiers temps, une pratique, à la limite une seule vue animée, et de voir en quoi elle vaut pour elle-même, ce quon peut en retirer en dehors des chemins privilégiés par la suite, en fonction dune série culturelle spécifique. Dans ce contexte dintermédialité palpable, et comme une partie grandissante de la production des premiers temps est soustraite à loubli, il est plus aisé dentrevoir les aspects de cette production pour ce quils ont à révéler, sans mettre de côté ce qui pourrait être jugé non pertinent en fonction de cet art noble à suivre, le cinéma. Cest un peu le parcours qui sera proposé dans ce texte, à partir de la conférence Syncopes, taches, détails. Laccroc et le raccord qua prononcé Livio Belloï lors dun colloque sur le cinéma des premiers temps à la Cinémathèque Québécoise, en mars 2000. Belloï sest attardé à Stop Thief et à Fire de Williamson (1901). On se concentrera ici sur le premier, pour des raisons évoquées par Gunning et reprise pas Bruce Hodsdon :
À
souligner : limportance donnée au film à poursuite,
qui est directement associé ici avec lémancipation
du cinéma de ces tableaux attractionnels vaudevillesques, et indirectement
avec la narrativisation des vues animées. Cest quà
lautarcie monstrative qui caractérisait la production avant
1905 (même dans les quelques cas dune certaine pluriponctualité,
quon devrait plutôt taxer duniponctualité multiple),
la mise en scène de poursuites plus élaborées
[2] que celle, disons, de Larroseur arrosé,
introduira le crosscutting, le montage alterné de vues du
poursuivi et du poursuivant, et donc un rapport entre les plans qui sous-tend
leur communication plutôt que leur indépendance. Les révélations
de Belloï à propos du deuxième segment de Stop Thief
seront la base dextrapolations visant à mettre en perspective
une certaine façon de faire lhistoire, tout en étant
porteuses dune remise en question de notions fondamentales, tels
le plan et la continuité. Dès lors, le deuxième segment uniponctuel de Stop Thief appelle la reconsidération. Si un historien avait accrédité le film quelques décennies plus tôt, quil aurait, par le meilleur des hasards lors de la seule projection auquel il ait assisté, remarqué ces accrocs, à quoi aurions-nous pu nous attendre de la part de chercheurs plus enclins à valider leur rôle quà sattarder consciencieusement à la pratique étendue et non sélective du montage ? Après tout, théoriquement parlant, on nous montre ici le poursuivi, survient une coupe puis ce sont les poursuivants qui se précipitent dans le champ. Williamson, inventeur du crosscutting ? Ces propos teintés dironie reflètent le malaise encore bien actuel autour du plan, et comme le note Noël Burch:
Or même avec ces précisions, le problème reste entier ; on ne peut affirmer avec certitude si lon a affaire à un plan dans ce deuxième segment de Stop Thief, et ce autant au niveau du tournage que du montage. Williamson aurait-il opéré un arrêt de tournage entre le moment où le bandit quitte le champ jusquà ce que ses poursuivants sen approchent, pour peaufiner ensuite en coupant/collant ? Auquel cas, nous sommes confrontés à une multitude de plans dès le tournage. Aurait-t-il tout simplement escamoté une scène quil avait saisie en entier, dun seul plan au tournage mais de trois, scindés par deux coupes, au montage ? Peut-être alors faudrait-il préciser notre définition du plan, et par extension, du montage alterné dans un film à poursuite. Ce qui fait défaut ici, et ce nest pas une bien grande révélation, cest que le cadre ne change pas [4]. Auriez-vous trituré votre pellicule entre chaque photogramme, monsieur Williamson, quaucun historien naurait pu vous consacrer père du montage ; votre scène est traitée uniponctuellement (pourquoi pas grand-père alors). Mais hypothétisons un quelconque aléa de tournage qui aurait fait varier lobjectif de quelques degrés seulement, après le passage du voleur. Quand on pense à la myriade dhistoriens qui y auraient vu, à tort, la naissance du montage alterné (quel dommage !), peut-être pouvons-nous commencer à comprendre la futilité dune telle démarche, qui plus est, la nécessité de son effritement. Malgré la définition plus restrictive du «plan» au montage [5], on ne peut admettre la parenté du travail effectué par Williamson avec un montage alterné à proprement parler. On pourrait croire, par une naïveté évolutive courante, quà lapparition du cinématographe les opérateurs ont progressé linéairement dun niveau de complexité au «suivant». Dans un premier temps on enregistre bêtement le réel, puis on commence à mettre en scène le profilmique pendant 50 secondes, enfin on expérimente avec le filmographique, et à la limite dans cette logique on aurait dû trouver des mouvements dappareils avant toute trace de montage. Avec le travail dhistoriens qui font surgir les documents du passé, non seulement a-t-on le loisir de voir tomber les mythes, mais de considérer ces documents ponctuellement ; une fois bien cernés, on peut tenter le rapprochement avec diverses séries culturelles, sortir de lhistoire spécifique et cloisonnée. À quoi bon prouver que Stop Thief est le premier film à poursuite dans lhistoire du cinéma ? [6]. Sarrêter à de telles considérations nous amènerait à voir dans le film de Williamson une bonne dose de maladresse. Une question plus appropriée sans doute : par quels moyens Williamson tente-t-il de se dérober à la défiance du profilmique ? Comme le note Belloï, il ne semble pas disposé, en 1901, à croire quil est possible de coordonner les mouvements en sen remettant au seul registre profilmique. Cest la continuité en quelque sorte qui est source dentropie, et la fragmentation est ici salutaire pour éviter les périls du champ vide. Dire quil redoutait le temps mort pourrait nous apparaître comme une approche téléologique, la production récente témoignant dun engouement certain pour le sensationnalisme ; en fait il serait pertinent détablir des liens entre les visées attractionnelles des vues animées au tournant du siècle et le mode de consommation des films qui domine actuellement. Lécho des pratiques de Williamson est traduit par Belloï de la façon suivante : à chacun son fragment [7]. Ce nest quune tactique parmi dautres, qui se chevauchent et se répondent, qui sinscrivent non pas dans un royaume où un art (à travers ses théoriciens) cherche à obtenir ses lettres de noblesse, mais dans le vaste domaine du montage, depuis le cadrage et le tour sélectif de la manivelle chez les opérateurs Lumières, sans oublier ces bandes de phénakistiscope quon coupait et permutait pour diversifier le spectacle. Les mythes se sont répandus : «Marey a découvert implicitement le principe du cinéma [...] en analysant le galop des chevaux [...] avec des batteries d«appareils photo»» [8] ; mais heureusement, lorsquil nous arrive de croiser de telles lignes : «The legend of the Paris café is satisfying to us now because it falsely conflates the arrival of the representational technology with the arrival of the artistic medium, as if the manufacture of the camera alone gave us the movies» [9], il est permis de croire que cest une approche plus réfléchie qui se répand de nos jours.
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